Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autant de calme que si le pays eût joui d’une parfaite tranquillité ; la Bretagne résignée à une lutte qu’elle croit nécessaire, se saignant à blanc pour la soutenir, mais prête à déposer les armes lorsque la réconciliation du roi de Navarre avec l’église ne permettra plus qu’aux ambitieux et aux aventuriers de prolonger une résistance désormais inutile ; la Bretagne, en un mot, faisant tout ensemble acte de foi, de dévouement, de probité politique et de bon sens ! N’est-ce pas là un admirable spectacle, et n’avais-je pas raison de dire qu’il est propre à consoler des lugubres et sévères peintures que les historiens ont pu tracer de la ligue sans outrager la vérité[1] ? »

L’exactitude de cette appréciation est incontestable pour quiconque a pris la peine d’étudier dans ses sources la dramatique histoire de la ligue en Bretagne. Jamais plus de passions et d’héroïques colères ne furent mises au service de vues plus droites et d’aspirations plus modérées. Aussi le parti dont le duc de Mercœur était le chef, sans que ce chef osât toutefois dire son dernier mot à ses soldats, ne tarda-t-il pas à l’abandonner sitôt que la conversion de Henri IV eut levé les scrupules des Bretons et maintenu la constitution française sur sa base immémoriale. La noblesse et la bourgeoisie, qui, à l’exception des membres du parlement de Rennes et de quelques présidiaux, s’étaient épuisées d’or et de sang pour soutenir la lutte durant les quatre premières années, se retirèrent dans leurs châteaux ou reparurent dans l’enceinte des villes fermées, empressées de reconnaître le roi qui s’inclinait devant la volonté nationale. Jamais la fidélité d’une grande province ne fut mise à une épreuve aussi délicate, et jamais le bon sens d’un peuple n’a triomphé dans des circonstances plus difficiles des machinations de l’intrigue et des calculs secrets de l’ambition.

Mais la Bretagne s’était trop résolûment engagée dans la guerre de 1589 à 1593 pour qu’il lu fût possible de s’arrêter à point nommé et d’épargner à ses populations l’une des crises les plus cruelles dont ce pays ait conservé le souvenir. Afin de résister à Henri IV et aux auxiliaires anglais que lui avait donnés la reine Élisabeth, les Bretons avaient dû chercher des alliés, et l’Espagne avait envoyé des forces considérables dans la péninsule bretonne, dont l’occupation lui prêtait pour ses opérations contre la France une force incalculable. En perdant l’espérance de placer une infante sur le trône des rois très chrétiens, Philippe II s’était pris à rêver avec non moins de passion que le duc de Mercœur le rétablissement de l’indépendance bretonne. À titre d’époux d’Isabelle, fille d’Henri II, petite-fille d’Anne de Bretagne, le roi catholique se posa comme

  1. M. Audren de Kerdrel, Revue de Bretagne, t. II, 6e livraison ; Nantes 1857.