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pour la grande œuvre consommée par François Ier. Pour qualifier les embarras de ce mariage réglé par un contrat d’une exécution quasi impossible, je dirai volontiers que la Bretagne et la France furent deux conjoints souvent brouillés pour des questions d’intérêt, mais desquels le devoir et l’affection éloignèrent jusqu’à la pensée du divorce, même aux jours les plus difficiles : un très rapide exposé des faits suffira pour le prouver.

Le temps qui s’écoula entre le règne de François Ier et l’ouverture de celui de Henri III peut être compté au nombre des périodes les plus heureuses traversées par cette province : ses droits furent généralement respectés, les réclamations de ses états presque toujours accueillies par la couronne. Il n’en pouvait guère être autrement lorsque le pouvoir, toujours menacé par les grandes factions de cour, avait un si pressant intérêt à se ménager l’obéissance d’une importante province. À l’avantage de conserver son vieux gouvernement, la Bretagne avait donc joint celui de voir, depuis l’union, s’élargir l’horizon de toutes ses perspectives, et la fortune de plusieurs de ses fils avait grandi avec le théâtre sur lequel se déployait leur activité. Deux gouverneurs du sang de Penthièvre, le duc d’Etampes et le vicomte de Martigues, représentèrent successivement la France dans ce pays jusqu’au règne de Charles IX, et grâce à la modération de l’un comme à la fermeté de l’autre, la Bretagne traversa dans une sorte de tranquillité relative la première époque des guerres civiles.

La réforme avait à peine effleuré ce pays : elle n’avait entamé ni la foi robuste de ses paysans, ni celle de sa noblesse, toujours en parfait accord de sentimens avec la population rurale. La bourgeoisie ne s’y était guère montrée plus favorable, et les huguenots n’auraient jamais pris pied en Bretagne, si les grandes maisons dont le nom est étroitement associé à la perte de son indépendance n’avaient embrassé les opinions nouvelles par l’effet de cette affinité qui associa dans presque toute l’Europe la cause du protestantisme avec celle de la haute féodalité. Dandelot, frère de l’amiral de Coligny, avait épousé l’héritière de Rieux, et des possessions territoriales immenses avaient assuré en Bretagne à ce seigneur une influence expliquée d’ailleurs par d’éminentes qualités personnelles. Il était de plus beau-père et tuteur du jeune comte de Laval, élevé par lui dans les doctrines nouvelles, et qui devint plus tard l’un des chefs les plus résolus des réformés. Personne n’ignore que la vie de Dandelot fut inspirée par une seule pensée, animée par une seule passion. Son long séjour dans ses domaines, dont le centre était la petite ville de La Roche-Bernard, située sur la Vilaine, avait suscité parmi les vassaux des maisons de Rieux et de Laval un certain nombre d’adhérens à ses croyances. La vicomtesse de Rohan, fille