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à Madrid, elle témoigna une égale bonne volonté. Seulement, afin de constater que son concours financier était l’effet tout spontané de son dévouement, et point du tout le résultat d’une obligation qu’elle se refusait à reconnaître, il fut arrêté que les nobles et les propriétaires de terres nobles apporteraient la vingtième partie de leurs revenus au lieu qui leur serait indiqué, et qu’après avoir attesté par serment que la somme apportée représentait bien ce vingtième, ils la déposeraient eux-mêmes dans un coffre scellé ; qu’enfin le produit de cette collecte ainsi faite dans les neuf diocèses serait adressé directement au roi, sans passer par les mains d’aucun de ses agens[1]. Ainsi, sans que la couronne y perdît rien, la noblesse bretonne sauvegarda ses droits et ceux de la province.

Cependant l’urgence d’une mesure décisive apparaissait de plus en plus. Formé par de cruelles épreuves, le bon sens public demandait s’il n’était pas beaucoup plus important pour la France de conserver la Bretagne que de poursuivre des conquêtes en Italie. La donation testamentaire faite au dauphin par la reine Claude ne garantissait point l’avenir, et n’avait pas été d’ailleurs régulièrement ratifiée par les états de la province. Le chancelier Duprat entreprit de mener à bonne fin l’union définitive du duché avec la couronne, et crut possible de l’obtenir à trois conditions : se faire secrètement et à prix d’or des créatures dans les trois ordres ; susciter la proposition dans le sein même des états, afin de sauvegarder leur amour-propre ; enfin garantir par les plus larges stipulations les droits et les privilèges de la province, de manière qu’en perdant définitivement son autonomie politique, la Bretagne eût au moins la certitude de conserver son autonomie administrative. Le chancelier, très propre à une négociation de ce genre, noua des rapports étroits avec le président Des Déserts, homme fort influent dans le tiers et dans la noblesse, ainsi qu’avec Pierre d’Argentré, sénéchal de Rennes, père et prédécesseur de l’historien.

Voici les très solides argumens du père résumés par le fils avec une répugnance assez mal dissimulée : « Tant qu’il y aurait chef en Bretaigne, ne falloit espérer nulle paix ; et continuant la guerre, la Bretaigne estoit un camp, et terre de frontière pour estre pillée de l’Anglois et des François et de leurs associés. Quant aux privilèges du pays et des seigneurs, il y avoit moyen de s’en mettre en sûreté en stipulant une assurance des libertés et privilèges de tous estats, et en prendre lettres ; que les princes du pays ne laissoient de lever des tailles et impositions comme l’étranger, et plus encore s’ils estaient nécessités de soutenir des guerres contre les plus puissans ;

  1. Histoire de dom Taillandier, liv. XVII, p. 251.