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mariage lui-même, le contrat ne stipulait aucune sorte de garantie pour les sujets de la reine-duchesse. Ce fut seulement six mois plus tard que, sur les très respectueuses remontrances des états de Bretagne, convoqués par le roi Charles VIII, ce prince consentit à accorder aux Bretons certains articles, d’une rédaction assez vague d’ailleurs, qui portaient le caractère d’un octroi spontané et nullement celui d’un engagement réciproque. Ces articles, au nombre de quatre, embrassaient la distribution de la justice, qui devait continuer d’être rendue par les tribunaux de la province, sauf le cas d’appel pour faux jugement ou déni de justice, et la levée des fouages, aides ou subsides, laquelle, disait le roi avec une grande réserve d’expressions, continuerait d’être opérée « en la forme et manière que les ducs de Bretaigne avoient accoutumé de faire le temps passé[1]. »

Si le peuple breton n’avait eu que le premier contrat de mariage de la duchesse Anne à opposer aux ministres du bon plaisir et aux entreprises des hommes de cour chargés de représenter à Rennes le roi de France, un pareil rempart n’aurait donc pas été fort solide, et l’on ne voit pas comment cette province aurait pu se refuser à suivre le sort des autres ; mais le cours des événemens ne tarda pas à provoquer un changement sensible dans la situation respective de la Bretagne et de la France. Charles VIII étant mort subitement en 1498, après avoir perdu ses quatre enfans, décédés en bas âge, la reine de France redevint tout à coup duchesse de Bretagne aux termes de son contrat de mariage, et le duché, reposé des longues guerres qui l’avaient épuisé, délivré de l’occupation étrangère et rentré dans l’entière possession de ses ressources, se retrouva en mesure de traiter avec le royaume sur un pied d’égalité. Le mariage de la reine veuve avec le successeur du feu roi était trop ardemment souhaité par Louis XII, trop conforme d’ailleurs aux intérêts politiques de ses sujets, pour que la duchesse, utilisant le changement de situation qui lui permettait de dicter des conditions à son tour, n’en fît pas profiter une ambition surexcitée par les longues épreuves de sa vie.

Brantôme a tracé de notre bonne reine Anne un tableau d’une vérité saisissante. Chacun la voit charmante sans vraie beauté, d’une suprême élégance malgré sa petite taille et l’inégalité sensible de sa marche ; on la suit heure par heure en son beau château de Blois, traversant chaque matin le perche aux Bretons[2] pour échanger avec ses fidèles gentilshommes de longs regards de reconnaissance,

  1. Articles accordés aux Bretons par le roi sur la remontrance des trois états, 7 juillet 1492. — Preuves de dom Morice, t. III, col. 728.
  2. Nom donné à une terrasse du château attenante à la chapelle.