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leur existence. Nous ne transformons plus le monde à notre image en le ramenant à notre mesure ; au contraire, nous nous laissons modifier et façonner par lui. Nous nous livrons à l’évolution des lois immanentes de l’univers, afin de les suivre et de les saisir. Nous les saisissons alors, parce que nous en sommes saisis, portés et emportés par leur courant. Aux yeux du savant moderne, tout est vrai, tout est bien à sa place. La place de chaque chose constitue sa vérité. Ainsi nous comprenons tout parce que nous admettons tout. Nous nous préoccupons moins de ce qui doit être que de ce qui est. La morale, qui est l’abstrait et l’absolu, trouve mal son compte à une indulgence qui est peut-être inséparable de la curiosité. Les caractères s’affaissent pendant que les esprits s’étendent et s’assouplissent. Mais aussi quelle merveilleuse entente de l’histoire ! Que le passé revit bien sous nos yeux ! La filiation des peuples, la marche des civilisations, le caractère des temps, le génie des langues, le sens des mythologies, l’inspiration des poésies nationales, l’essence des religions, autant de révélations dues à la science moderne. Et comme est notre science, ainsi est notre esthétique. On peut lui reprocher le manque de principes dans l’ancienne acception du mot, mais non pas assurément le manque d’intelligence et de sympathie. Elle aime mieux contempler que juger, — étudier qu’apprécier, — ou, si elle apprécie, c’est en laissant parler et se dérouler le sens intime d’une œuvre. Elle rend à chaque chose son lieu, à chaque lieu sa chose. Elle a renoncé au stérile procédé qui consiste à opposer une forme du beau à une autre, à préférer, à exclure. Elle n’a ni préjugé ni parti pris. Elle croit tout, elle aime tout, elle supporte tout. Elle a une place, dans le panthéon de la beauté, pour l’art païen et l’art chrétien, pour le Parthénon et la cathédrale, pour la sérénité du Grec et pour l’ascétisme du moine, pour la force et pour la grâce, pour l’expression claire et pour le symbole mystérieux, pour le goût et pour la puissance, pour Shakspeare et pour Racine, pour tout ce qui palpite, tout ce qui vit, tout ce qui est. Elle est vaste comme le monde, tolérante comme la nature.

Il est un autre principe qui s’est emparé avec force de l’esprit moderne et qui peut être ramené à Hegel. Je veux parler du principe en vertu duquel une assertion n’est pas plus vraie que l’assertion opposée et aboutit toujours à une contradiction pour s’élever ensuite à une conciliation supérieure. Benjamin Constant exprimait cette loi à sa manière en disant qu’une vérité n’est point complète à moins qu’on n’y ait fait entrer son contraire. La loi de la contradiction, tel est, dans le système que nous avons étudié, le fond de cette dialectique, qui est elle-même l’essence des choses. Qu’est-ce à dire ? Que le fait n’est pas isolé, borné, mais indéfini ; que la chose ne se termine pas avec elle-même, mais tient à un ensemble ; que