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et ce principe de contradiction doit tôt ou tard se montrer, briser l’église et manifester le triomphe de l’Évangile par la ruine même de la société religieuse.

On chercherait longtemps dans le vaste champ de la littérature philosophique allemande avant de trouver un morceau d’une discussion aussi lucide, d’une dialectique aussi pressante que l’introduction du livre de M. Rothe. Une fois d’accord avec l’auteur sur les données premières, il était difficile d’éluder les conséquences auxquelles il entraînait le lecteur. Or ces données, il ne s’en cachait pas, lui étaient fournies par Hegel. Le premier anneau dans la chaîne de sa démonstration était formé par la notion hégélienne de l’état. M. Rothe n’a fait que développer cette notion et la pousser à ses conséquences.

Hegel repousse expressément la notion moderne qui voit dans l’état une institution destinée à protéger les personnes et les propriétés et comme un mal nécessaire qu’il faut soigneusement resserrer dans les limites les plus étroites. L’état, pour Hegel, est un produit de la raison ; c’est le monde moral réalisé et organisé. M. Rothe s’est emparé de cette définition, il en a rapproché sa propre définition de la religion, et voici les résultats auxquels il est arrivé. La religion aspire à se soumettre l’homme tout entier, elle tend de sa nature à pénétrer toute la vie intérieure et extérieure du croyant ; elle n’est véritable, elle n’est religieuse qu’à la condition tout au moins de poursuivre ce but. Ces prétentions de la religion sont nécessairement aussi celles de l’église, qui n’est autre chose que la religion organisée. Seulement, nous venons de le voir, l’état, en vertu de son idée même, affiche des prétentions semblables. Il est l’humanité personnifiée ; il représente et satisfait l’ensemble de nos besoins spirituels, et par conséquent il est essentiellement religieux ; il l’est autant et plus que l’église. Voilà donc l’église et l’état en conflit, et cela en vertu de la nature propre de chacun. Que faut-il en conclure ? Que l’église, qui est l’organisation de la religion, n’a pas son but en elle-même, mais dans l’état, qu’elle porte en soi le principe de sa dissolution, qu’elle ne peut se réaliser sans se détruire. L’église en effet est la forme du principe religieux en tant que celui-ci lutte encore avec le monde, et par conséquent se trouve encore dans une condition d’imperfection ; mais quand la religion remplit le cœur d’un homme, elle n’est plus en lui une sphère particulière de sa vie, elle est le mobile de toutes ses actions et en quelque sorte sa vie tout entière : de même aussi, quand le monde sera converti à l’Évangile, la religion n’y existera plus comme une puissance distincte du monde et engagée dans une lutte avec lui, et dès lors l’église, n’ayant plus de raison d’être comme église, s’absorbera tout