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anxiété si ces doctrines étaient véritablement la conséquence légitime de l’enseignement de Hegel. L’école fut mise en demeure de se prononcer, mais elle se divisa sur la réponse à donner. C’est de cette époque que date la classification qui y distinguait une droite, une gauche, un centre, des extrêmes. On devine où siégeait pour le moment l’auteur de la Vie de Jésus. Cependant il lui advint bientôt ce que nous avons vu quelquefois arriver dans nos assemblées délibérantes ; la gauche se vit débordée par la révolution à laquelle elle avait travaillé, et le radical de la veille devint le modéré du lendemain.

Le monde philosophique en effet n’était pas au bout de ses surprises. Deux ans après l’ouvrage dont je viens de parler, parut un livre qui détourna un moment l’attention de celui de Strauss. L’esprit, l’intention en étaient fort différens ; mais l’application des principes hégéliens au christianisme y était plus directe, et le résultat en paraissait plus radical encore. L’auteur, M. Richard Rothe, aujourd’hui professeur à Heidelberg, a une physionomie scientifique assez originale. Issu à la fois du piétisme et de la philosophie spéculative, doué d’une puissance dialectique incontestable et d’une forte imagination, partagé entre le goût d’une science sévère et celui des fantaisies à la Jacob Boehme, il a transformé la théologie en théosophie. Il est juste d’ajouter que son livre de 1837 ne portait pas encore ce caractère. C’était le premier volume d’une histoire des Origines de l’église chrétienne. L’auteur, adoptant avec une espèce d’empressement les théories et les traditions ecclésiastiques du catholicisme, proclamait très haut qu’il n’y a d’église dans le sens propre du mot que là où il y a organisation et unité visible. Il s’efforçait en outre de prouver que les apôtres l’avaient bien entendu ainsi et avaient eux-mêmes, vers l’an 70 de notre ère, donné à la communauté chrétienne la constitution épiscopale que le temps et les besoins ont développée depuis. Toute cette déduction historique était très savante, très subtile, trop subtile peut-être pour porter dans les esprits une conviction entière. Là d’ailleurs n’était pas l’intérêt du livre ; il se concentrait dans une introduction- qui transportait la question du terrain de l’histoire sur celui de la philosophie. Ici l’auteur reprenait d’avance tout ce qu’il allait accorder dans le reste du volume, et, soumettant la notion même de l’église à une analyse pénétrante, il arrivait à la dissoudre complètement. — Oui, disait-il, il n’y a d’église que celle qui a une constitution, celle qui embrasse la chrétienté dans l’organisme compliqué de ses formes, celle qui traduit aux yeux, par la hiérarchie de ses évêques soumis à un pasteur suprême, l’union mystique des fidèles et l’unité essentielle du corps du Christ ; mais en même temps l’église ainsi comprise, ainsi constituée, renferme un germe de mort : elle exprime une idée contradictoire,