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M. Frédéric Richter, publia en 1833 un écrit dans lequel il se posait en prophète, et proclamait un nouvel évangile, celui de la mort éternelle. Dans cet ouvrage sincère, mais déclamatoire, vulgaire malgré une certaine élévation, l’auteur attaquait la notion de la vie à venir au nom des intérêts les plus sacrés de l’humanité. Rejetant comme autant de paralogismes les divers argumens dont la théologie et la philosophie se sont servies pour prouver à l’homme qu’il ne meurt pas tout entier, repoussant comme abstraite et dépassée l’opposition ordinairement établie entre l’âme et le corps, M. Richter signalait dans la foi à l’immortalité la source de tous les maux qui affligent l’humanité, et conviait l’individu à se contenter de la vie générale, celle de la famille, de la société et de l’église. « Il faut, s’écriait-il, que tout s’efface, jusqu’au nom, jusqu’à la date ; il faut que l’esprit individuel se perde entièrement dans l’esprit du monde, s’il veut aspirer à la vie éternelle et à la majesté qui appartient à Dieu seul. »

Richter ne se réclamait pas précisément du nom de Hegel, mais il faisait usage des formules de l’école, et son principal argument lui était fourni par la notion hégélienne de l’individualité. Ce qui est individuel ne peut durer comme tel, parce que l’individu ne peut réaliser l’idée, et par conséquent ne vient au jour que pour faire place à un autre, pour faire nombre dans cet ensemble d’existences particulières dont la totalité seule représente vraiment l’idée. On ne se trompa pas sur la parenté du livre. Il produisit une profonde consternation dans le cénacle. Chacun en voulait au mal-appris dont la main grossière déchirait le voile des plus douces illusions ; on se sentait compromis, ce fut un haro universel. MM. Weisse et Gœschel se hâtèrent de chercher dans la logique hégélienne les ressources infinies qu’elle présente pour toutes les thèses et toutes les causes. En général, on chercha à étouffer la discussion sous les injures et les cris d’indignation. C’est ce que le plus spirituel des théologiens modernes a appelé l’assassinat littéraire de Richter. On put croire un instant que le crime avait réussi. Hélas ! on était à la veille d’un bien autre scandale. Deux ans après le livre de Richter paraissait celui de Strauss.

Aucun livre dans notre siècle n’a plus eu le caractère d’un événement que la Vie de Jésus par Strauss. L’action en a été profonde et dure encore. L’auteur se vantait dernièrement, et avec raison, que, depuis vingt-cinq ans, il ne s’est pas dit ou écrit un mot sur l’histoire évangélique qui ne fût dominé par le souvenir de ce terrible livre. Si l’ébranlement s’est fait sentir dans les pays qui se trouvent le plus en dehors du courant des idées allemandes, si une nouvelle génération frémit encore du coup qui frappa au cœur les croyances de ses pères, on peut imaginer quelle émotion l’ouvrage