Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/848

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’un nouveau jouet, les théologiens de l’école se plaisaient à faire servir les formules hégéliennes aux plus étranges usages. Les récits les plus merveilleux de la Bible, les subtilités les plus aventurées de la doctrine luthérienne, rien ne les arrêtait. C’était l’époque à laquelle Marheineke, enseignant le dogme à Berlin, divisait son sujet en trois parties d’après les trois personnes de la Trinité, et où M. Gœschel, unissant le dévouement le plus entier aux enseignemens de l’église et la confiance la plus parfaite dans la méthode spéculative, recevait de Hegel lui-même cette approbation empressée que Strauss a appelée un péché contre le Saint-Esprit de la philosophie.

Il ne faut pas croire cependant que Hegel fût de moitié dans ces exagérations. Il n’était coupable que d’équivoque ; il avait évité de se prononcer et de se compromettre ; il avait reçu avec trop d’empressement les avances de l’orthodoxie ; il s’était piqué de paraître conservateur en religion aussi bien qu’en politique. Mais d’un autre côté comment croire à la sincérité de cette attitude. Comment concilier son rôle et ses principes, la prudence de ses livres et les indiscrétions de ses cours, les hardiesses des premiers temps et la timidité de la dernière époque ? Le système ne parlait-il point assez clairement ? Ne fallait-il pas une grande force d’illusion pour retrouver les dogmes chrétiens dans les évolutions logiques d’un principe sans substance ? Le spinozisme dialectique était-il plus conciliable avec la foi que le spinozisme de Spinoza ? Voilà les questions qui devaient se poser tôt ou tard.

Il y avait d’ailleurs plus que des équivoques dans la philosophie de Hegel, il y avait des contradictions. On y trouvait sans peine le pour et le contre sur les plus graves problèmes qui puissent passionner un théologien. Jésus-Christ est-il personnellement la manifestation de l’idée dans la sphère de la religion, ou bien l’idée, ici comme ailleurs, se manifeste-t-elle sous une pluralité de formes, dans une multiplicité d’individus entre lesquels le fondateur du christianisme est tout simplement le plus grand que le monde ait encore vu ? La religion chrétienne elle-même doit-elle être regardée comme la religion définitive, ou les principes hégéliens n’exigent-ils pas plutôt que le champ de l’avenir soit laissé libre à une série infinie de religions supérieures ? Les écrits du maître ne se prononçaient pas catégoriquement. Sous le couvert de cette ambiguïté, toutes les opinions avaient pu s’abriter. Cela dura tant que vécut Hegel. Après sa mort, la discussion ne tarda pas à aborder toutes les difficultés, au risque de partager l’école.et de déchirer le système.

La scission éclata d’abord sur un point particulier de la doctrine religieuse. Il est vrai que ce point était capital. Un libraire de Breslau,