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que tel autre enseignement ; non, il avait devant lui le prophète d’une science complètement originale, le révélateur de la philosophie définitive. Dès lors l’auditeur était sous le charme. Une révolution s’était accomplie dans sa vie intellectuelle, il se sentait enchaîné au pied de cette chaire. L’obscurité même de l’oracle devenait pour lui un attrait de plus, un motif d’émulation et d’ardeur. Plus tard la réflexion et la critique pouvaient reprendre leurs droits, mais plus tard seulement, beaucoup plus tard : pour le moment, on subissait le prestige ; on s’abandonnait d’autant plus complètement, qu’on avait été d’abord plus indifférent ou plus rebelle. Parmi les disciples qui s’empressaient ainsi autour du maître se trouvaient des hommes illustres ou considérables. Ces écoliers qui restaient suspendus aux lèvres de Hegel, qui recueillaient chacune de ses paroles, prenant des notes, rédigeant des cahiers, ces écoliers étaient MM. Schulze, Hotho, Gans, Michelet, des théologiens, des jurisconsultes, des littérateurs, des professeurs, des hommes d’état. De là, de cette salle de cours, la doctrine se répandait par toute l’Allemagne. Elle avait le double attrait de la difficulté à vaincre et de la nouveauté. Les adeptes se croyaient en possession du mot de l’univers, ils formaient une sorte de confrérie : on faisait des prosélytes, on célébrait des initiations. C’étaient les beaux temps de l’école, le temps des commencemens. Le mouvement saint-simonien en France vers 1830 ne donnerait qu’une idée très-imparfaite de l’élan dont les esprits étaient animés à Berlin pendant les dix dernières années de la vie de Hegel.

Parmi les ouvrages dont se compose la volumineuse collection des œuvres de Hegel, Il en est trois qui méritent une attention particulière, soit parce qu’ils font date dans la vie de l’auteur, soit parce qu’ils présentent ses doctrines à des phases différentes de formation, soit enfin parce qu’ils renferment les données fondamentales de la philosophie hégélienne, tandis que les autres volumes de la collection en développent seulement les applications. Les trois écrits dont. je parle sont la Phénoménologie, la Logique et l’Encyclopédie. On peut dire que le premier est le plus beau, le second le plus important, le troisième le plus vaste des ouvrages de Hegel. La Phénoménologie fut le produit du séjour de l’auteur à Iéna, et marque la naissance du système ; la Logique, rédigée à Nuremberg, en indique la fixation ; l’Encyclopédie, publiée à Heidelberg, le laisse voir dans sa pleine maturité. De cette relation entre les trois ouvrages, il est tout naturellement résulté que les deux premiers ont en quelque mesure passé dans le dernier. La Logique est devenue la première partie de l’Encyclopédie, et la Phénoménologie s’est fondue dans la troisième.

La Phénoménologie peut avoir été dépassée par l’auteur, elle