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M. Haym, en sa qualité de représentant du libéralisme prussien, s’est-il montré trop sévère pour le caractère politique d’un savant qui, semblable à Goethe en cela, considérait les événemens contemporains avec plus de curiosité que de passion, et tendait à les accepter, par cela même qu’il cherchait surtout aies comprendre. C’est un point sur lequel on devra écouter les réclamations de M. Rosenkranz, l’un des plus fidèles, et non pas l’un des moins méritans des disciples de Hegel. Quoi qu’il en soit, le volume de M. Haym est un remarquable chapitre d’histoire de la philosophie. Je le signale comme une excellente introduction à l’étude des idées hégéliennes pour ceux qui voudraient entreprendre cette étude, et comme un excellent résumé pour ceux qui sont déjà versés dans la connaissance du système. Je le signale en même temps comme un exemple du progrès que les Allemands ont fait depuis quelques années dans l’art d’écrire sur des matières scientifiques. L’auteur traite un sujet difficile avec une aisance parfaite et une admirable clarté. Il est peu de livres du même genre de l’autre côté du Rhin où l’expression soit aussi précise, le mot aussi souvent heureux et frappé. Ce n’est pas la manière française sans doute, mais c’est la manière allemande dans ce qu’elle a de plus distingué. Plût à Dieu que M. Véra eût fait pour nous ce que M. Haym a fait pour ses compatriotes : je n’aurais assurément pas eu la pensée de parler de Hegel après lui.


I

Hegel est un représentant de l’esprit allemand. Avec un air de gaucherie et une absence notable de cet esprit pratique qui fait réussir dans le monde, l’Allemagne a une nature admirablement riche. Elle réunit les qualités qui semblent le plus s’exclure. Elle est croyante et savante, rêveuse charmante et critique redoutable. S’il m’arrive parfois de douter de la poésie, c’est en écoutant un des poètes de l’Allemagne que je réussis le mieux à dissiper ce scepticisme profane. Ces cantiques passionnés, ces ballades résonnantes comme une armure, ces chansons folles ou sérieuses, douces ou amères, ce mélange gracieux de sensualité naïve et de sentiment exquis, de rêverie ardente et de bruyante gaieté, cette verve d’imagination, cette sincérité d’accent, cette profondeur d’intuition, un Novalis, un Uhland, un Heine, voilà ce dont la littérature d’aucun autre peuple ne saurait donner l’idée, ce qui plus qu’aucune autre poésie fait éprouver l’émotion poétique. Il en est du lied comme de la musique allemande, c’est un monde à part. Eh bien ! le peuple qui chante ainsi n’est pas moins extraordinaire par son génie critique. Il faut avoir vu à l’œuvre sa patience dans les recherches, sa