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XVIIIe siècle l’avait aimée, d’une société douce, indulgente, spirituelle, assez indifférente aux formes de gouvernement et passionnée surtout pour les choses de l’esprit. Les amis que des dissentimens d’opinion avaient pu refroidir un instant lui revenaient aussi dévoués qu’autrefois. M. de Sismondi, M. de Bonstetten, Ugo Foscolo, Mme de Staël, Mme de Souza, Paul-Louis Courier, M. Bertin l’aîné, étaient en correspondance avec elle et la tenaient au courant des événemens littéraires. Mme de Staël lui avait écrit, non sans malice, au mois de juin 1816 : « Dans ce moment de légitimité, ne pourriez-vous pas vous refaire reine d’Angleterre ? Je vous baise les mains en signe de loyauté. » Il était assez piquant en effet que les Anglais de Wellington, après avoir rétabli chez nous la royauté de l’ancien régime, fussent mis en demeure d’appliquer chez eux le même principe, et de restituer la couronne à la veuve de Charles-Edouard. Cette plaisante idée fit sourire la comtesse ; mais la dear majesty, comme l’appelait Mme de, Staël, n’aspirait plus alors qu’à une royauté d’un autre genre. À l’heure où, après tant de secousses, la société libérale et lettrée se reformait peu à peu d’un bout de l’Europe à l’autre, Mme d’Albany voyait se réaliser enfin le rêve de toute sa vie ; l’hôtel du Lung’Arno devenait un des rendez-vous les plus aimés de cette brillante élite.

Toutes les lettres que nous avons entre les mains, tous les témoignages que nous avons pu recueillir sont d’accord sur l’habileté, la souplesse, les ressources merveilleuses que déployait Mme d’Albany dans l’art charmant de la conversation. Longtemps comprimé chez elle pendant deux périodes si différentes de sa vie, — d’abord par Charles-Edouard, ensuite par Alfieri lui-même, — ce talent prenait enfin l’essor, enrichi des mille expériences d’une carrière agitée. Elle causait à merveille et savait donner de l’esprit à ceux qui l’approchaient. Toutes ces qualités cependant eussent été plus ou moins perdues, si la comtesse n’avait eu affaire qu’à la société italienne. Sismondi, qui connaissait bien les habitudes florentines et qui n’avait aucune raison d’en parler avec malveillance, écrivait à Mme d’Albany : « Il m’est impossible d’exprimer à quel point cette ville me paraît triste et déserte quand vous n’y êtes pas. Les Florentins ne savent ce que c’est que la société : ils avaient besoin de l’attrait puissant qui les réunissait chez vous pour les tirer de ce demi-sommeil qui préside à leurs conversazioni ; ils avaient besoin de l’impulsion étrangère qu’ils y recevaient pour mettre en dehors ce qu’ils ont d’esprit ; ils avaient aussi besoin d’être tenus en respect par le double éclat, la double royauté du rang et du génie qui vous entourait, pour ne pas se mettre trop à l’aise, car leur familiarité est aussi insupportable que leur réserve… » Il dit encore, dans une autre lettre, que les Florentins n’ont pas d’oreille pour l’instrument