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chaque fois qu’ils allèrent à Florence, les hôtes reconnaissans de la comtesse d’Albany : l’un est ce brillant patricien de Berne, Charles-Victor de Bonstetten, Français par l’esprit, Allemand par le savoir et la curiosité critique, intelligence merveilleusement douée, mais qu’une légèreté, une mobilité, une dissipation incorrigible empêchèrent de déployer toutes ses richesses ; l’autre est le généreux publiciste, l’historien Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi.

Nous avons déjà rencontré M. de Bonstetten dans le palais du comte d’Albany, à Rome, en 1774, deux ans après le mariage de Charles-Edouard avec Louise de Stolberg. À quelle époque M. de Sismondi fut-il présenté pour la première fois à la comtesse ? Je ne trouve aucun renseignement sur ce point ; mais on voit en 1807 le publiciste déjà célèbre, l’auteur du Tableau de l’agriculture toscane, l’auteur du Traité de la richesse commerciale, invoquer auprès de Mme d’Albany le souvenir d’une visite antérieure, et entretenir dès lors avec elle une correspondance qui offrira souvent le plus vif intérêt. La première lettre est datée du 18 juin 1807. M. de Sismondi vient de se retirer à Pescia, en Toscane, après avoir publié les deux premiers volumes de son grand travail sur les républiques italiennes. Un juge des plus autorisés, M. Mignet, dans sa belle notice sur Sismondi, a rendu hommage à cette histoire, « tracée, dit-il, avec un vaste savoir, un noble esprit, un talent vigoureux, assez d’art et beaucoup d’éloquence. » Il nous semble qu’on retrouvera quelque chose de ces qualités dans les lettres qu’on va lire. Elles révèlent certainement un noble esprit, et à travers la familiarité de ces libres entretiens, plus d’une parole éloquente, inspirée par les événemens, publics, s’échappe des lèvres du causeur.


« Madame,

« Permettez-moi de me rappeler, à votre souvenir en vous envoyant les deux premiers volumes de mon histoire. Si votre noble ami avait vécu, c’est à lui que j’aurais voulu les présenter, c’est son suffrage que j’aurais ambitionné d’obtenir par-dessus tous les autres. Son âme généreuse et fière appartenait à ces siècles de grandeur et de gloire que j’ai cherché à faire connaître. Né comme par miracle hors de son siècle, il appartenait tout entier à des temps qui ne sont plus, et il avait été donné à l’Italie comme un monument de ce qu’avaient été ses enfans, comme un gage de ce qu’ils pouvaient être encore, il me semble que l’amie d’Alfieri, celle qui consacre désormais sa vie à rendre un culte à la mémoire de ce grand homme, sera prévenue en faveur d’un ouvrage d’un de ses plus zélés admirateurs, d’un ouvrage où elle retrouvera plusieurs des pensées et des sentimens qu’Alfieri a développés avec tant d’âme et d’éloquence. Avant la fin de l’été, je compte aller à Florence vous rendre mes devoirs et entendre de votre bouche, madame, votre jugement sur mes républiques.