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modération dans nos espérances ; nous sommes pourtant forcés d’avouer que nous avions espéré plus que M. le président du sénat ne nous semble le permettre. Au surplus, dans l’appréciation des conséquences naturelles de l’acte du 24 novembre, nous nous étions fondés bien moins sur des conjectures théoriques que sur la force des choses, agissant d’après les données qui venaient d’être posées. Nous conservons donc le droit d’en appeler de certaines conclusions du rapport de M. Troplong à l’expérience et à l’avenir. Pour éclaircir le dissentiment qui nous sépare de M. le président du sénat, nous choisirons deux des points les plus importans traités dans son rapport : la discussion de l’adresse et la part d’intervention faite à la presse dans le travail des assemblées délibérantes.

La question de l’adresse, c’est la question parlementaire elle-même. Tout le monde comprend et sent qu’en acquérant le droit d’adresse, nos deux assemblées, le sénat et le corps législatif, obtiennent du même coup cette influence sur la direction du pouvoir exécutif qui, qu’elle soit exercée avec réserve ou avec énergie, est l’essence même de ce système que l’on appelle le gouvernement parlementaire. Dans ce droit d’adresse, se combinant avec la nécessité des événemens qui peuvent amener ou le gouvernement à élargir l’action des chambres, ou celles-ci à prendre en leurs mains une plus grande part d’autorité, sont virtuellement comprises toutes les prérogatives que peuvent avoir à réclamer des assemblées parlementaires. La question, pour le moment, est purement théorique, nous le savons, et nous ne dissimulons pas combien nous avons peu de goût à reprendre ces questions de théorie constitutionnelle qui ont été trop souvent et trop stérilement agitées en France depuis soixante-dix ans. Cependant ce n’est pas nous qui soulevons cette discussion spéculative ; M. Troplong l’aborde lui-même, et ce n’est rien moins que la théorie de la monarchie impériale que le président du sénat a voulu établir dans la première partie de son rapport. L’examen de cette théorie s’impose donc à nous. À nos yeux, les explications de M. Troplong sont incomplètes, et la justesse de ses conclusions nous paraît infirmée par les omissions qui lui sont échappées dans ses prémisses.

Le président du sénat définit le régime actuel « une hiérarchie, qui, sans être le pouvoir absolu, place au sommet de l’édifice le gouvernement du monarque s’appuyant sur des institutions représentatives, et à sa base le suffrage universel, comme un recours toujours ouvert dans le cas de nécessité publique. » Puis, après avoir illustré cette définition de réminiscences historiques et de souvenirs contemporains, il conclut en ces termes : « Ceci posé, il nous paraît évident que l’adresse d’aujourd’hui ne saurait avoir le caractère et les effets de l’adresse d’autrefois. Celle-ci signifiait que les ministres devaient être choisis par les chambres avant d’être nommés par le roi ; elle signifiait que le roi était gouverné et ne gouvernait pas… Aujourd’hui l’adresse, au lieu d’être un champ de bataille, ne sera qu’une information loyale et patriotique sur les besoins du pays, etc. »