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— La vie est un bien, jeune homme, et si elle a ses peines, ses chagrins, il faut savoir les surmonter… Allons, relevez-vous, là… Adossez-vous contre ce talus… Voyez, comme il fait bon vivre ce matin !…

— C’est vrai, répondit le jeune homme ; ça fait grand bien de respirer, lorsqu’on a eu la gorge serrée. Quand la branche a cassé, j’avais déjà perdu connaissance… Mais en revenant à la vie, je retrouve mes misères, mes chagrins… Si j’avais fermé les yeux pour toujours, on aurait dit dans l’île : « Jacques s’est pendu ! » Madeleine n’aurait pas eu pour moi une larme… Et puis on m’aurait bien vite oublié !

— Allons, allons, ce qui est manqué est manqué… Vous ne recommencerez pas, au moins ; vous me le promettez ?… Foi d’honnête homme ?

— Promettez-moi aussi, vous, de ne rien dire, répliqua Jacques, parce que, voyez-vous, dans ces choses-là il faut réussir, ou bien on se fait moquer de soi.

— Pas un mot ne s’échappera de mes lèvres, comptez-y… Les médecins savent être discrets… Vous aimez donc Madeleine, la fille du pêcheur ?

— Hélas, oui ! Depuis l’enfance je la connais, étant né moi-même au village de Béhuard…

— Je suis soldat à présent, mon semestre va finir, et il faut que je retourne au régiment.

— Eh bien ! vous la retrouverez quand vous viendrez.

— Oui, je la trouverai… mariée !… Il y a un marinier qui la recherche, un grand brun qui a des boucles d’oreilles en forme d’ancre, un fameux garçon, et plus riche que moi, qui n’ai pas grand’chose. Le père Léonard lui fait bon accueil parce qu’il a de l’argent, et puis il aime les gens de la Loire en sa qualité de pêcheur.

— Et Madeleine ?

— Madeleine a de l’amitié pour moi ; mais de l’amitié, cela ne prouve rien. Elle n’est point fière, bien sûr ; elle me dit bonjour quand elle me rencontre, comme à tout le monde.

— Si vous restiez chez vous, si vous ne quittiez point le pays, reprit le docteur, croyez-vous que vous finiriez par vous faire agréer de la jeune fille ?

— Dame ! peut-être bien… Mais, bah ! les absens ont toujours tort… Dans quelques jours je ne serai plus ici, et dès ce soir peut-être l’autre viendra… Il a dû partir hier de Nantes avec ses bateaux, et le vent est bon.

— Quel est votre état ?

— Cultivateur, paysan… Ma famille possède quelques boisselées de terre ; nous y semons du chanvre, que je mets à rouir dans la Loire à la fin de l’été. C’était là que je voyais Madeleine avant d’entrer