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pouvait et faisant le moins de bruit possible ; mais en dépit de toutes les précautions qu’il prenait, quelque branche sèche éclatait sous ses pieds. Le gentil petit oiseau s’éloignait toujours ; on eût dit qu’il y mettait de la coquetterie et qu’il prenait un malin plaisir à se dérober aux regards avides du docteur. Celui-ci avançait pas à pas.

— Je parierais bien que c’est elle, disait-il en se parlant à lui-même, j’en suis à peu près sûr ; mais enfin il me manque encore la certitude, sans laquelle il n’y a pas de notions exactes en histoire naturelle. Ah ! petit oiseau ! tu as des ailes, et moi je n’ai que des pieds ; entre nous, la partie n’est pas égale… Oh ! le voilà qui se pose… Une minute, une seconde encore, et je saurai, à n’en plus douter, si j’ai bien là, devant les yeux, la fauvette bleue…

L’oiseau venait en effet de s’arrêter dans sa course, mais le bruit sec d’une grosse branche qui se brisait, la chute d’un corps pesant à travers les luisettes et les aboiemens réitérés de Bistouri lui firent immédiatement reprendre sa Volée. Au lieu de la fauvette bleue qu’il croyait déjà tenir, le docteur avait devant les yeux un jeune homme évanoui, étendu tout de son long sur le sol humide, si près du fleuve que l’extrémité de ses pieds touchait les eaux.


II. — LE TRAIN DE BATEAUX

— Peste soit de l’importun ! s’était écrié le docteur Christian dans la vivacité de son désappointement… D’où vient-il ? d’où tombe-t-il ?

Celui à qui ces paroles s’adressaient, et qui ne pouvait les entendre, tombait perpendiculairement de la cime d’un léard. Il portait autour du cou une corde de chanvre solidement tordue et assez forte pour le pendre tout de bon, si la branche qui lui servait de point d’appui ne se fût, en éclatant, séparée du tronc. Le docteur détacha la corde ; bientôt l’inconnu rouvrit les yeux, mais il semblait ne rien voir, et aucune parole ne sortait de sa bouche entr’ouverte. Pendant ce temps, le docteur lui remuait doucement les bras et les jambes, cherchant à reconnaître s’il ne s’était cassé aucun membre dans sa chute. Peu à peu le jeune homme reprit ses sens, la secousse qu’il avait ressentie le tenait dans une sorte d’engourdissement ; mais les branches inférieures du léard et les touffes serrées des luisettes, en soutenant le poids de son corps, l’avaient empêché de se faire aucune blessufe. Quand ses regards eurent recouvré toute leur lucidité, il prit la main du docteur. — C’est vous, monsieur Christian ! dit-il d’une voix entrecoupée ; où suis-je donc ?

— Mais dans les luisettes, mon ami. Si vous aviez choisi un chêne, au lieu d’un léard, pour accomplir votre fatale résolution, vous seriez à trente pieds en l’air, mort et bien mort en vérité.

— Cela serait peut-être plus heureux pour moi !