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des cris joyeux. Arrivé à la pointe de l’île de Béhuard, le docteur se fit débarquer sur le sable et dirigea sa course vers les luisettes, — plantations d’osiers, — qui croissent spontanément dans le limon de la Loire. Leurs touffes glauques forment une ceinture épaisse autour de cette île riante que l’on croirait sortie la veille du sein des ondes, comme une corbeille de verdure. Elle est pourtant d’une formation ancienne, et il y a bien des siècles que les alluvions l’ont élevée au-dessus du niveau habituel de la Loire. Au XIIIe siècle, on y voyait déjà une chapelle célèbre dans toute la contrée. Louis XI, si amoureux de la belle province d’Anjou qu’il finit par l’enlever à son oncle, le duc René, remplaça cet antique sanctuaire par la charmante église que l’on voit encore, et il y fit placer, dans un vitrail aux couleurs flamboyantes, son profil triste et sournois.

Le docteur, plus épris de l’histoire invariable de la nature que de l’histoire changeante des hommes, attachait une médiocre importance à ces souvenirs. Tout entier à la poursuite de la fauvette bleue, il se plongeait au milieu des luisettes, épiant le vol du moindre oisillon, écoutant avec une attention suprême les gazouillemens qui troublaient de temps à autre ces retraites solitaires. Parfois le sol limoneux cédait sous ses pas, et ses souliers restaient enfoncés dans la vase. Les branches serrées des osiers lui bridaient le visage ; il allait toujours, et ne voyait rien que des mésanges vulgaires ou bien, ces moineaux frétillans qui aiment à nicher dans les saules creux, et que les riverains nomment des paisses saulettes. Les houppes de duvet soyeux qui s’échappaient des tiges fleuries des luisettes saupoudraient de points blancs la redingote brune et le chapeau du docteur. Quelques ronces tenaces, enracinées çà et là dans les terrains plus fermes, écorchaient ses mains ; son front était baigné de sueur, mais il avait confiance. L’oiseau qu’il cherchait devait être là, ou ne se rencontrer nulle part.

Pendant plusieurs heures, le docteur Christian parcourut en tout sens ces longues oseraies, terrain vague entre la terre et l’eau, aussi désert que les savanes de l’Ohio. Arrivé à un endroit plus fourré encore et presque impénétrable, il crut apercevoir l’aile bleue d’un petit oiseau qui gazouillait en se glissant sous les branches.

— Derrière, Bistouri, derrière ! dit à demi-voix le docteur en cherchant à modérer la course vagabonde de son barbet. — Eh ! mon Dieu ! je crois en vérité que c’est elle ! Aurais-je une vision ! . ». Non, la mésange n’est pas de ce bleu velouté, et puis ces mouvemens légers, vifs, brusques en même temps, ce gazouillement animé, rapide, tous ces caractères n’appartiennent qu’aux fauvettes…

L’oiseau fuyait ; il coulait sous le feuillage et se plongeait dans l’ombre pour reparaître au soleil. Le cou tendu, haletant et cherchant à retenir sa respiration, le docteur avançait le plus vite qu’il