Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/658

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les passions les plus communes non-seulement chez les peuples sauvages, mais encore chez les nations les plus civilisées, telles que le désir de la vengeance, l’ivrognerie et le relâchement de mœurs qu’on observe autour des grandes villes. En même temps, on oubliait tous ces faits rapportés parfois par les mêmes auteurs, et qui prouvent combien son cœur est accessible aux plus doux, aux plus nobles sentimens, aux affections de famille, à l’amour conjugal, à la reconnaissance la plus vive pour de légers services, etc. Trompé une seule fois par un blanc, l’Australien ne se fie plus à lui, il use de représailles ; mais Dawson remarque qu’il agit avec une entière bonne foi envers celui qui a su mériter sa confiance. Cuningham a retrouvé chez ces peuples le point d’honneur sanctionné par de véritables duels, où tout se passe d’après des règles auxquelles on ne saurait se soustraire sans être déshonoré. Enfin voici un fait que nous empruntons au capitaine Sturt, et qui prouve que l’esprit chevaleresque, tel que l’entendaient les plus nobles paladins, n’est pas étranger à ces prétendues demi-brutes. Deux évadés irlandais se prirent de querelle, avec les indigènes au milieu desquels ils étaient réfugiés. Il fallut en venir aux mains, mais les Européens étaient sans armes : avant de les attaquer, les Australiens leur en fournirent pour qu’ils pussent se défendre, les combattirent ensuite et les tuèrent[1].

Il va sans dire qu’on a refusé aux Australiens toute trace de religiosité. Ici comme toujours, ce sont les faits qui répondent. On a constaté chez toutes les tribus la croyance aux esprits et la crainte des revenans. Chez toutes aussi, les morts sont enterrés avec des cérémonies particulières. Le lieutenant Britton a eu occasion de voir ces rites funèbres chez une des peuplades des bords du Wallomby, Sans les décrire en détail, faisons remarquer que les tombes, très régulières, sont entourées de cercles d’écorce destinés à les protéger contre l’attaque des mauvais génies, et que des armes y sont déposées pour que le défunt, quand il en sortira, les trouve à sa portée et puisse en user contre ses ennemis. Certes en voilà assez pour montrer que la notion d’une autre vie existe chez les Australiens. Quant à celle d’êtres supérieurs à l’homme et pouvant agir sur lui en bien ou en mal, on l’a également trouvée partout où on l’a cherchée. Dans toutes les tribus, on a reconnu la croyance, commune

  1. Sturt ajoute que les Irlandais furent mangés. Le cannibalisme existe en effet sur quelques points de l’Australie, et en particulier chez les populations voisines de Sidney, au moins comme fait accidentel ; mais il résulte des recherches, de Dawson qu’on n’en trouve aucune trace sur une étendue considérable et parmi de nombreuses tribus. Le fait a été juridiquement établi à la suite d’une enquête. Au reste le cannibalisme est malheureusement trop commun dans des populations fort différentes de celle qui nous occupe en ce moment pour qu’on puisse en faire un caractère essentiel.