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fait chez les individus par trop perfectionnés. Ici encore, comme chez les végétaux, on dirait que la nature, tout en faisant bon marché de certaines formes, de certains caractères externes et internes, pose cependant des limites à ces modifications, et se refuse à propager les monstres que l’art humain l’a forcée de produire.

Si la fécondité peut s’annihiler dans quelques races animales par suite d’un excès de domestication, elle s’accroît au contraire chez d’autres d’une manière remarquable, tout comme dans quelques races végétales. La laie sauvage n’a qu’une seule portée annuelle, et ne donne le jour qu’à six ou huit marcassins ; devenue domestique, elle met bas deux fois par an de dix à quinze petits porcs, et même davantage : la fécondité a donc au moins triplé chez la truie. Le cochon d’Inde présente un exemple bien plus frappant encore. Ce petit animal domestique appartient au genre cobaye, dont toutes les espèces sauvages, extrêmement voisines les unes des autres, possèdent le même nombre de mamelles, ce qui indique qu’elles mettent bas le même nombre de jeunes. Or le cobaye le mieux connu, l’aperea[1], ne porte qu’une seule fois par année, à une époque déterminée, et un ou deux petits seulement, tandis que le cochon d’Inde produit en toute saison et cinq ou six fois par année des nichées de six, huit ou même dix petits. Ici donc la fécondité s’est accrue au moins dans le rapport de 1 à 15.

Enfin l’époque de la reproduction peut changer chez les animaux sous l’influence de circonstances au nombre desquelles l’action d’un climat nouveau occupe certainement le premier rang. L’oie d’Égypte, introduite en France par Geoffroy Saint-Hilaire et depuis cette époque élevée au Muséum, a gagné en taille et en force en même temps que son plumage s’est légèrement éclairci. Ces modifications auraient suffi pour caractériser la race française ; mais en outre le moment de la ponte a été retardé d’une manière remarquable. Jusqu’en 1843, elle avait eu lieu, comme en Égypte, vers la fin de décembre ou le commencement de janvier. Par suite, les jeunes s’élevaient dans la saison la plus rigoureuse. En 1844, la ponte a été reportée au mois de février, en 1846 au mois de mars, et l’année suivante au mois d’avril, c’est-à-dire précisément à l’époque où pondent naturellement les oies originaires de nos régions tempérées. « Ainsi, dit M. Isidore Geoffroy, à qui j’emprunte ces détails, a été levée la plus

  1. Ce cobaye a été longtemps regardé comme la souche de nos cochons d’Inde ; mais ceux-ci étaient domestiqués au Pérou à l’époque de la découverte, tandis que l’aperea est originaire du Brésil. Cette circonstance a fait mettre en doute l’identité des deux espèces. M. Isidore Geoffroy, prenant en considération la ressemblance très grande de tous les cobayes connus, n’en regarde pas moins comme certaine l’opinion que j’ai exprimée dans le texte d’après son autorité.