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actions, il y en a quatre, garanties contre toute perte, qui sont la propriété des villes et des églises du Harz.

L’état a racheté peu à peu les actions des particuliers ; il ne reste plus que cinq mines d’argent où ceux-ci conservent des intérêts, et leur part, qui aujourd’hui vaut environ un million, sera bientôt entièrement rachetée. En attendant, on se contente de leur distribuer des bénéfices ; les actionnaires n’ont aucun contrôle sur l’exploitation des mines, et ne peuvent même y descendre sans un permis des autorités. Ils consentent d’autant plus volontiers au rachat que leur part est soumise à des charges très onéreuses. L’état prélève pour la caisse des mines un dixième des recettes : c’est ce qu’on nomme caisse de la dîme ; il garde en outre un neuvième pour l’entretien et la construction des galeries d’écoulement qui desservent toutes les mines ; enfin il oblige les actionnaires à lui abandonner les métaux à un prix fixe et très peu rémunérateur. Les actionnaires ne reçoivent que, 40 francs pour un kilogramme d’argent, qui, dans le commerce, se vend environ 60 francs ; le plomb leur est acheté au taux de 9 francs les 50 kilogrammes, c’est-à-dire la moitié de ce qu’il vaut : j’ajouterai qu’ils sont encore obligés de payer les salaires des maîtres mineurs, et que, pour compenser tous ces sacrifices, l’état ne leur fournit gratuitement que le bois et le combustible.

Il est permis de considérer l’état comme le propriétaire réel des mines du Harz, comme le seul maître du district, le seul régulateur des salaires, des heures de travail, des prix, des conditions de l’exploitation, en un mot comme l’arbitre absolu du sort de tous les habitans. Si cette souveraineté s’exerçait par l’organe de la bureaucratie et de la centralisation, il en résulterait, on peut l’affirmer hardiment, un état de choses intolérable ; mais la souveraineté est en quelque sorte toute nominale : le Harz se gouverne lui-même. Les agens qui exercent le pouvoir ne sont point des administrateurs lointains, inabordables, enfermés derrière le triple rempart du formalisme, de la morgue et de l’ignorance : ce sont des hommes qui vivent parmi les ouvriers, qui ont grandi souvent au milieu d’eux, qui se sont élevés lentement et péniblement dans la hiérarchie compliquée du travail, qui connaissent, pour les avoir partagés, les souffrances et les dangers de leurs subordonnés. Il s’établit ainsi entre les ouvriers et les maîtres un lien qui n’a rien de la raideur des relations officielles. Dans la solitude des montagnes, les mœurs prennent sans effort quelque chose de simple et de patriarcal. Bien souvent, j’ai pu l’observer, c’est l’ingénieur qui le premier, quand il rencontre un mineur, le salue du glück auf[1] traditionnel dans les

  1. Glück auf, ces mots ne peuvent guère se traduire littéralement ; « sortie heureuse ! , en donne a peu-près le sens, mais n’en rend pas la force et le tour.