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grossier naturalisme. Elle corrige, il est vrai, l’ancienne forme sous laquelle les peuples reconnaissaient l’action divine, alors que, trop ignorans encore des lois ordinaires et des harmonies de la nature et de l’homme, ils plaçaient le miracle dans la rupture de ces lois et dans les lacunes de la science. Elle transporte le miracle dans la science même ; elle le contemple dans les merveilles de la vie physique, intellectuelle et sociale. Mais là éclate d’autant mieux la Providence divine dans ses intarissables manifestations. Là, elle habite en quelque sorte et se multiplie sans interruption sous nos yeux. Là, en sa présence, la piété n’a plus rien à redouter de la critique, plus d’objection sérieuse à essuyer de la part de l’examen désintéressé. Les lois physiques, actes permanens de Dieu, pour être constantes, n’en sont pas moins siennes. Les lois de l’histoire, pour être réalisées par l’homme, n’en sont pas moins « le gouvernement temporel de la Providence. » Les rapports établis entre elle et nous, individus, restent toujours des rapports de grâce et de justice. Et toutes ces lois, pour être des lois, n’en sont pas moins l’acte ineffable de l’éternelle et divine Liberté. L’esprit, en renouant selon son pouvoir les fils les plus délicats de la continuité des choses et en comblant les vides de la science et de l’histoire, n’en admire que mieux dans la société comme dans la nature, le riche et fort tissu des choses vivantes, sur lequel sont si clairement écrites l’intelligence et la bonté suprêmes. Enfin, quand nous suivons dans les transformations religieuses ce travail insensible qui, comme dans la vie corporelle, renouvelle peu à peu le dehors sans détruire l’identité du fond spirituel, nous nous soulevons d’espérance en voyant poindre le jour de la nouvelle et puissante unité à laquelle tout se prépare. Que surtout on ne précipite point cette marche ! Qu’on ne secoue point la conscience religieuse des hommes ! L’idée est venue en son temps, la méthode est tracée ; lorsqu’elles sont dans le vrai, on n’arrête ni une idée, ni une méthode. Pour coopérer à ces grandes œuvres de Dieu, la première condition est d’apporter son grain de sable et de ne point savoir ce qu’on bâtit. Qui l’eût dit à Platon, qu’un jour ses idées prendraient une si grande place dans la construction du christianisme futur ? C’est seulement quand la parole jetée commence à germer dans les âmes que l’on peut, regardant en arrière, reconnaître et montrer dans les écrits des principaux coopérateurs, comme nous avons essayé ici, des pensées qu’eux-mêmes ne s’étaient point connues. Admirable ordonnance des choses, qui, en laissant à chacun sa sphère restreinte et son œuvre obscure, ne livre le plan de l’ensemble à personne, afin que la seule volonté de l’ordonnateur suprême y resplendisse !


LOUIS BINAUT.