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de Broglie. Ce ne sera point faire une digression que de nous y arrêter ; nous resterons au contraire dans le cœur de notre sujet, car le caractère particulier de cet ouvrage, par son chapitre d’introduction surtout, est de continuer dans l’histoire ce que Joseph de Maistre et Lamennais ont commencé dans la philosophie ; il marque donc un moment considérable dans l’évolution que nous essayons de décrire. D’ailleurs le sentiment élevé qui y respire, et cette impartialité sereine qui étend le regard et honore la foi en la séparant du parti-pris, sont d’un trop rare exemple, et montrent trop bien le besoin qu’éprouve l’esprit religieux le plus pur de se dilater, pour que nous ne saisissions pas l’occasion d’en fortifier notre thèse[1].

Quel est le but de M. Albert de Broglie dans ce remarquable chapitre ? C’est d’anéantir le faux miracle dont nous parlions tout à l’heure, obstacle à toute étude sérieuse, préjugé opaque, interposé entre la vérité et le regard qui la cherche par des écrivains plutôt orateurs qu’historiens. « Moins ils comprennent, dit-il, plus ils admirent ; moins ils peuvent attribuer à l’homme, plus ils rapportent à Dieu ; ils se plaisent dans leur surprise, et leur respect serait altéré si leur intelligence n’était confondue. » Ce qui les trompe, c’est une trop étroite conception du divin, qu’ils semblent ne reconnaître que là où ils croient voir une dérogation à l’ordre constant des choses. C’est trop restreindre l’action divine. « L’un des caractères principaux, dit-il encore, de la religion chrétienne, et qui n’est pas le moins divin, c’est son accord avec les lois de l’histoire et les conditions de la nature humaine… Ce n’est point offenser le christianisme, ni diminuer son autorité divine, que de rechercher et de mettre en lumière toutes les causes qui ont préparé et servi sa marche. Si la vérité qu’il a révélée est un rayon de cette vérité universelle qui repose dans le sein de Dieu, elle a dû reconnaître comme son bien et absorber en elle-même toutes les vérités imparfaites dont les systèmes philosophiques se disputaient les lambeaux souillés. Si le christianisme est venu pour apaiser la soif des âmes, les peuples, ces troupeaux d’âmes altérées, ont dû tressaillir et se précipiter à son approche. Ainsi mœurs, philosophie, état politique des sociétés antiques, tout a dû servir à seconder ses progrès, et tout peut servir à les comprendre. » C’est donc le principe de continuité que nous allons voir rétablir dans les origines du christianisme. Autour de la cause supérieure qui à dirigé cet événement comme elle les dirige tous, on verra les causes humaines agir dans leur sphère, et lier comme partout l’avenir au passé.

Il y a, dans l’histoire de cette époque, trois faits principaux que

  1. Nous nous servons de la première édition, quelques scrupules ayant fait introduire dans les autres des changemens que nous n’avons pas eu le temps de comparer.