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globe, et ne laisse respirer une nation que pour en frapper d’autres. Pareil à la torche ardente tournée rapidement, l’immense vitesse de son mouvement le rend présent à la fois sur tous les points de sa redoutable orbite. N’attendez pas que les nations fassent aucun effort pour y échapper ; on croit voir ces grands coupables, éclairés par leur conscience, qui demandent le supplice et l’acceptent pour y trouver l’expiation. » — « La guerre est donc divine, » c’est-à-dire qu’elle est un acte divin plutôt qu’humain, divine par ses conséquences, par sa gloire, par les circonstances étranges qui l’accompagnent, la dirigent, la terminent, par les contradictions et les impossibilités dont elle est pleine aux yeux des hommes, par les causes invisibles qui font perdre ou gagner les batailles. Tel est le fond de ce magnifique morceau, si souvent mal compris. C’est l’hymne de la guerre, si l’on veut ; mais c’est en même temps la philosophie tragique de notre destinée, et en cela surtout la pensée en est originale et puissante. La poésie, plus proche du cœur humain et plus vraie souvent que la philosophie, connaît cette source et y puise ses plus énergiques émotions. La haute poésie, c’est-à-dire l’épopée et le drame austère, ne roule que sur la guerre et sur la mort. Tout cela peut se résumer en quelques vers d’Eschyle qui, de leur temps, remplirent d’effroi le théâtre d’Athènes. N’est-il pas l’image de cette humanité si étrangement poursuivie, cet Oreste courant le monde sous le fardeau de son crime et talonné par le châtiment ? Qu’est-ce que cet ange exterminateur, toujours veillant et présent partout, sinon les divines Euménides que le petit-fils d’Atrée retrouve partout où il se réfugie, et qui rugissent la vengeance jusque dans leur sommeil ? Béant de stupeur et d’épouvante, il les voit s’éveiller en tumulte dès qu’elles ont senti qu’il est là, et il ne leur échappe qu’en se jetant dans les bras d’une divinité qui veut bien plaider pour lui.

Ceci nous conduit au troisième terme de la théodicée, c’est-à-dire à la rédemption. L’humanité est solidaire. La dette, étant commune, doit être payée en commun ; le juste paie donc pour le coupable, le plus riche en souffrances et en mérites reverse de son excédant sur le moins riche : voilà le dogme fondamental du christianisme et la signification du sacrifice du Christ. Pour en donner la formule rationnelle, notre philosophe l’exprime par le mot de réversibilité. La dette étant solidaire, les mérites qui dépassent pour chacun ce qui lui est demandé sont réversibles sur tous les autres : loi de fait, dit,-il, admise dans toutes les traditions des peuples et tous les jours réalisée. Louis XVI, Mme Elisabeth, tant d’autres victimes ne périssaient-ils pas évidemment pour des fautes dont ils n’étaient point coupables, et qui remontaient bien haut dans