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de son caractère ; pour les amener sur le champ de bataille, même à l’époque où il était « battu pour apprendre à battre, » il n’eut besoin que de parler. La gloire, dit-on, explique tout ; mais d’où vient cette gloire extraordinaire, attachée à la guerre ? Le bourreau tue des coupables convaincus et condamnés, et cela rarement : le monde le repousse comme exerçant un métier infâme ; le soldat, lui, tue sans mesure, et toujours d’honnêtes gens ; il est honoré partout et par-dessus tout : « Expliquez-moi donc pourquoi ce qu’il y a de plus honorable dans le monde est de verser innocemment le sang innocent ! » Les nations, dit-on encore, étant entre elles dans l’état de nature, ne peuvent vider leurs différends que par la guerre ; mais pourquoi sont-elles restées dans l’état de nature ? pourquoi n’ont-elles jamais su, pourquoi n’y a-t-il encore aucune apparence qu’elles sachent s’élever à l’état social comme les particuliers ? Comment l’homme, « qui a le caractère divin de la perfectibilité, » n’a-t-il pas même atteint un commencement de ce progrès qui épargnerait tant d’effroyables destructions ? Il y a plus : ce terrible métier de la guerre, qui semblerait devoir tremper des cœurs féroces, produit l’effet contraire. « L’homme le plus honnête est ordinairement le militaire honnête. Dans le commerce ordinaire de la vie, les militaires sont plus aimables, plus faciles, et souvent même, à ce qu’il m’a paru, plus obligeans que les autres hommes.. La vertu, la piété même s’allient très bien avec le courage militaire. Les caractères les plus doux aiment la guerre, la désirent et la font avec passion. Hier, ce jeune homme aimable se serait trouvé mal, s’il avait, par hasard, écrasé le canari de sa sœur ; demain vous le verrez monter sur un monceau de cadavres, pour voir de plus loin, comme disait Charron. Le sang qui ruisselle de toutes parts ne fait que l’animer davantage à répandre le sien et celui des autres, et il en viendra jusqu’à l’enthousiasme du carnage. » Il faut donc que les fonctions du soldat « tiennent à une grande loi du monde spirituel, et cette loi n’est qu’un chapitre de la loi générale qui pèse sur l’univers. » Il règne dans la nature Vivante une violence manifeste ; les plantes meurent, les animaux se dévorent : l’homme seul y échappera-t-il ? Non. Qui donc l’exterminera ? Lui. Mais comment pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être moral et miséricordieux, lui qui est né pour aimer, lui qui pleure sur les autres comme sur lui-même, qui trouve du plaisir à pleurer, et qui finit par inventer des fictions pour se faire pleurer ? « Il l’accomplira par la guerre. Saisi tout à coup par une fureur divine étrangère à la haine et à la colère, il s’avance sur le champ de bataille sans savoir ce qu’il veut ni même ce qu’il fait. Qu’est-ce donc que cette horrible énigme ? L’ange exterminateur tourne comme le soleil autour de ce malheureux