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répugne d’accepter à la lettre le récit mythique de la Genèse. En attendant, il y cherché autre chose, quelque « loi du monde, » un « côté plausible » enfin. L’homme déchu a transmis son crime à toute sa race : voilà le dogme. Comment cela est-il possible. Comment imputer le crime du premier couple aux innombrables générations qui n’existaient pas encore ? Là gît le mystère inconcevable. Eh bien ! Joseph de Maistre l’abordera avec son assurance accoutumée, et d’abord il écarte la question théologique de l’imputation ; « elle reste, dit-il, intacte, » et il n’en parle plus » Que met-il donc à la place ? Une loi naturelle : l’hérédité. « Tenons-nous-en, dit-il, à cette observation vulgaire, qui s’accorde si bien avec nos idées les plus naturelles : que tout être qui à la faculté de se propager ne saurait produire qu’un être semblable à lui. La règle ne souffre pas d’exceptions ; elle est écrite sur toutes les parties de l’univers. Si donc un être est dégradé, sa postérité ne sera plus semblable à l’état primitif de cet être, mais bien à l’état où il a été ravalé par une cause quelconque. Cela se conçoit très clairement, et la règle a lieu dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral. » Suivent des analogies tirées des lois actuelles de la nature. Il y a des maladies héréditaires, des vices et des qualités héréditaires. Les maladies aiguës ne se transmettent pas, mais bien celles qui ont altéré le tempérament : de même les fautes actuelles sont personnelles ; mais « si un homme s’est livré à de tels crimes ou à de telles suites de crimes qu’il ait altéré en lui le principe moral, vous comprenez que cette dégradation est transmissible, comme le vice scrofuleux ou syphilitique, » Ici encore, peu nous importe que le raisonnement de notre ingénieux interprète soit exact ou non. Il est clair qu’en écartant l’imputation, il est sorti de la question qu’il s’était posée. Le mystère n’était pas dans l’hérédité des imperfections, des maladies, des tendances morales, choses assez connues ; il était et il reste dans l’hérédité de la coulpe, de la culpabilité, du péché en un mot, hérédité que rien dans nos sentimens moraux ni dans nos notions métaphysiques ne peut nous expliquer. Mais enfin il lui fallait quelque chose de « plausible, » de rationnel, et il nous montre ici, par son exemple même, où conduit l’exégèse, et comment, en cherchant l’esprit, elle efface insensiblement la lettre, comment cette sève de raison, pourtant nécessaire, en s’introduisant sous l’écorce du symbole, la fait tomber, comment enfin dans le mouvement religieux F interprétation, quoique l’on fasse, est une transition. Celui qui, étranger, comme l’est la foule des croyans, à la théologie dogmatique, s’en rapporterait aux idées « plausibles » de Joseph de Maistre, pourrait bien se persuader encore qu’il croit à la transmission du péché originel, mais en réalité il n’y croirait plus ; il