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en délibérations sans rien faire, changeant chaque jour de plan de défense, jetant sur toutes les routes des troupes harassées par des marches confuses, découragées par la défiance. Le ministère proposait un instant de prendre résolument la dictature pendant la crise. Le roi hésita, il était agité de singuliers scrupules : il craignait, disait-il, de paraître supprimer indirectement la constitution. Au fond, il craignait, s’il allait se mettre à la tête de l’armée dans de telles conditions, de laisser trop de pouvoir à des ministres qu’il soupçonnait de trahison, et pendant ce temps Garibaldi s’avançait à grands pas. Huit jours après son débarquement, il était maître de Reggio, après avoir livré bataille et avoir forcé la garnison à se rendre ; il mettait successivement la main sur toutes les places fortes de la côte, et l’armée royale disséminée semblait faire le vide devant lui, ou fondait par les capitulations et les défections, tandis que les insurrections, éclatant sur ses pas, s’organisaient partout, proclamaient Victor-Emmanuel et le statut sarde. Le télégraphe lui-même, ce messager ailé et fiévreux de toutes les catastrophes, fut suborné et gagné à la cause de l’invasion par un Anglais ingénieux ; il trompa le gouvernement, et fit la révolution en disant qu’elle était faite. Ce n’était plus une campagne, c’était une marche fantastique, un mouvement désordonné qui ne trouvait sa force que dans le mystère, dans une sorte de merveilleux, dans l’ineptie de la résistance et dans la complicité universelle d’un peuple résigné à se laisser conquérir.

Vingt jours après qu’il avait mis le pied sur le continent, Garibaldi était à Saleme seul, précédant son armée, plus roi déjà que le roi lui-même, et chose étrange, à l’approche de l’insaisissable et puissant ennemi, ce dont on se préoccupait à Naples, ce n’était pas de combattre, c’était d’épargner à la bonne et riante ville les ennuis et les sombres perspectives d’une lutte sanglante dont elle serait le prix. Une dernière fois M. de Martino convoquait le corps diplomatique pour lui proposer la neutralisation de Naples sous la protection des escadres étrangères ; on était au 27 août. Le ministre de Sardaigne, M. de Villamarina, devait mettre toute son influence à obtenir l’assentiment de Garibaldi lui-même. Les ministres de Prusse et d’Autriche, après avoir un moment accepté, retirèrent leur adhésion, C’était la dernière tentative pour engager la responsabilité de l’Europe dans la défense du royaume, elle ne réussit pas, et dès ce montent, seul, abandonné par tous ceux qui l’avaient servi, voyant les défections se multiplier autour de lui, se trouvant en face d’une population qui ne lui demandait que de se retirer, soit par entraînement d’imagination vers Garibaldi, soit pour échapper aux anxiétés d’un combat sanglant, le roi ne songea plus qu’à quitter Naples,