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l’Italie une et libre, est l’objet de mon entreprise… Si nous accomplissons aujourd’hui l’annexion de la Sicile seule, les ordres devraient venir d’ailleurs ; alors il faudrait que j’abandonnasse mon œuvre et que je me retirasse… » Et Garibaldi ne voulait pas se retirer encore ; il dévoilait au contraire son but fixe et prochain en concentrant successivement ses forces autour de Messine, à la pointe du Phare, à quelques milles du continent de Naples.

Placé entre les nécessités diplomatiques de sa position en Europe et les entraînemens de Garibaldi, qui portait dans son camp la fortune de la cause italienne, le Piémont ne pouvait que garder, pour le moment une expectative qui devenait délicate. — Le devoir du Piémont était simple, dira-t-on ; il n’avait qu’à livrer Garibaldi à lui-même, à signer le pacte avec Naples et à aider le roi François II, transformé en souverain constitutionnel, à sortir victorieux de la crise où il était plongé. Régulièrement, diplomatiquement, il se peut qu’il en fût ainsi ; moralement, c’était abdiquer toute une politique et tenter de faire rétrograder le courant d’une révolution qu’un sentiment exalté de nationalité rendait irrésistible ; c’était infirmer virtuellement le droit qui avait fait l’annexion de la Toscane, de la Romagne et des duchés, et le Piémont n’eût prêté une force factice et sans doute peu durable au roi de Naples qu’en affaiblissant sa propre position. Le cabinet de Turin fit ce qu’il put en essayant au moins de retenir Garibaldi en Sicile ; il chercha à empêcher l’enrôlement de nouveaux volontaires, à suspendre leur départ, et le roi Victor-Emmanuel lui-même écrivit à l’audacieux partisan pour le détourner de pousser plus loin son expédition. « Vous savez, général, lui disait-il, que lorsque vous êtes parti pour l’expédition de Sicile, vous n’ayez pas eu mon approbation ; maintenant je me décide à vous donner un avis dans les graves conjonctures actuelles, connaissant la sincérité de vos sentimens envers moi. Pour faire cesser la guerre entre Italiens et Italiens, je vous conseille de renoncer à l’idée de passer avec vos valeureuses troupes sur le continent napolitain, pourvu que le roi de Naples s’engage à évacuer toute l’île et à laisser les Siciliens libres de délibérer et de disposer de leurs destinées. Pesez mon conseil, général, et vous verrez qu’il est utile à la patrie. » Cette évacuation complète de la Sicile n’avait rien d’incompatible avec les dispositions du gouvernement napolitain lui-même, qui la proposait par une note de M. de Martino, pour obtenir une trêve et en réservant la question.

Ce n’était nullement l’affaire de Garibaldi, qui répondit au roi Victor-Emmanuel, le 27 juillet, de Milazzo : « Sire, votre majesté sait de quel respect et de quel attachement je suis pénétré pour sa personne et combien je désire lui obéir ; mais votre majesté doit bien