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l’insurrection voyageuse, lorsque déjà Garibaldi était à terre avec les siens.

Ce fut un coup de foudre à Naples, quoiqu’on s’y attendît un peu, et pour se consoler on commença par accuser un vaisseau anglais d’avoir favorisé ou protégé le débarquement en gênant le tir d’une frégate du roi, puis on finit par tout rejeter sur le Piémont, qui avait laissé s’organiser et partir l’expédition. Il est certain que le Piémont n’avait pas employé la force pour retenir les volontaires au port et pour les disperser. Ostensiblement du moins, en se servant des lois dont il disposait, heureux peut-être de n’en pas avoir de plus sévères en présence de l’opinion, qui s’enflammait pour cette hardie tentative, il avait fait ce qu’il avait pu, et ce qu’il avait fait même n’avait servi qu’à irriter Garibaldi sans le retenir. Pour les esprits politiques du nouveau royaume du nord, se jeter dans cette aventure du midi c’était tout précipiter, dénaturer ou compromettre la libération de l’Italie, qui pouvait s’accomplir plus lentement, par la force des choses. Bien d’autres, qui ne pouvaient s’empêcher d’être émus de la hardiesse de Garibaldi, considéraient son entreprise comme prodigieusement chimérique, et croyaient impossible que l’expédition n’allât pas se heurter contre quelque vaisseau napolitain qui coulerait à fond les frêles bâtimens des volontaires. Ayant à sauver sa position en Europe sans trop braver les ardentes excitations d’une opinion qui était sa force en même temps que son danger, le gouvernement piémontais n’avait pu rien faire, mais il sauvait sa responsabilité en désavouant diplomatiquement Garibaldi.

Un fait était publiquement constaté, c’est que l’audacieux chef de volontaires avait gardé son dessein secret, qu’il n’avait voulu en rien dire au roi, de peur d’être retenu comme il l’avait été déjà, à la fin de 1859, lorsqu’il voulait se précipiter sur les Marches. Il le disait lui-même dans une lettre particulière : « Je fus sur le point de m’en ouvrir au roi… J’ai cru prudent de n’en rien faire. Il m’aurait détourné, et je n’aurais pu résister à un ordre de ce roi unique et parfait… » Ainsi Garibaldi acceptait seul la responsabilité de son entreprise, il la revendiquait même dans la pensée secrète d’y puiser une liberté plus entière de mouvemens pour l’avenir. Il partait sans autre mandat que celui qu’il croyait trouver dans une impulsion de patriotisme et dans l’appel de l’insurrection sicilienne, et au moment de s’embarquer il écrivait au roi une lettre qui n’était point sans noblesse : « Je sais que je m’embarque dans une entreprise dangereuse ; mais je mets ma confiance en Dieu ainsi que dans le courage et le dévouement de mes compagnons. Notre cri de guerre sera toujours : Vive l’unité de l’Italie ! vive Victor-Emmanuel !… Si nous échouons, j’espère que l’Italie et l’Europe libérale n’oublieront