Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incessans de leurs représentans, avaient essayé de raviver le sentiment du péril dans cette cour indécise et obstinée ; elles se trouvaient en face d’un pouvoir insaisissable qui éludait les conseils, sauf à demander plus tard des garanties impossibles contre l’orage qu’il amassait lui-même. Cette situation éclatait partout à Naples ; elle se révélait dans les excitations de l’opinion, dans l’insurrection, qui, une fois de plus, se réveillait en ce moment en Sicile, et jusque dans des incidens que l’imagination publique saisissait avec malignité : témoin une scène curieuse qui se passait un jour au palais, et que l’un des témoins, le prince Ischitella, allait raconter immédiatement au cercle de la noblesse.

C’était au lendemain des arrestations du mois de mars 1860. Le ministre de France, M. Brenier, autorisé par le roi à se présenter toutes les fois qu’il le jugerait convenable, se rendait au palais pour demander l’élargissement d’un homme estimé et assurément peu dangereux, qui était l’avocat de la légation. Sa présence ne parut pas faire une agréable impression. L’un des gentilshommes, le marquis Imperiali, lui dit avec embarras que sa majesté n’était point là. On cherchait François II de tous les côtés dans le palais ; le roi était tantôt chez la reine-mère, tantôt chez le comte de Trapani, tantôt enfin aux écuries. Chaque fois que le marquis Imperiali reparaissait après ses infructueuses recherches, M. Brenier, qui n’avait pas tardé à démêler le jeu, avait le soin de demander : « Faut-il attendre ? » Il attendit plus d’une heure, voulant aller jusqu’au bout, causant librement et tranquillement de guerre avec le prince Ischitella, de marine avec le général Sabatelli, lorsque le marquis, Imperiali revenait définitivement, assez consterné, en disant qu’on ne retrouvait pas le roi. Le ministre de France regarda fixement le gentilhomme de cour et lui dit en souriant : « Alors c’est que le roi est perdu. — Il n’est qu’égaré dans le palais, répondit-on. — Prenez garde, reprit M. Brenier, il y a des mots dangereux qui conduisent en prison ; on y met pour moins que cela. » Et il se retira. — Ainsi trouble ou violences du pouvoir, irritations et incohérence des opinions, malaise universel mêlé d’aspirations indéfinies, incertitudes d’une armée défiante d’elle-même et de la cause qu’elle servait, antipathie irréconciliable des Siciliens, déjà en insurrection, c’est là qu’on en était à Naples au mois d’avril 1860 ; il y avait tous les élémens réunis d’une révolution, moins la hardiesse ou peut-être la possibilité d’une initiative émanant de la nation elle-même.

C’est alors que sur ce foyer d’élémens incanddscens l’étincelle vient tomber. C’est alors, quand les annexions du nord sont définitivement accomplies, quand entre le Piémont et Naples il n’y a plus