Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son esprit, par des traditions qui le rattachaient à la France, le général Filangieri semblait l’homme de la situation : c’était le nom le plus connu en Europe, c’était le personnage qu’on poussait en quelque sorte au pouvoir depuis longtemps, dès qu’on avait à demander un changement de politique à Ferdinand II. Malheureusement le prince de Satriano était vieux, léger, désireux de bien-être et de luxe avant tout ; il commençait par se faire payer quatorze mille ducats pour un arriéré de pensions ; il était lié d’ailleurs, par plus d’un service d’argent, au dernier roi et à sa famille, et si son esprit sentait la nécessité impérieuse des réformes, s’il avait du goût pour un certain rôle à demi libéral aux yeux de l’Europe, il n’était pas homme à risquer dans des luttes de cour cette position nouvelle qu’il venait de conquérir. La politique du premier ministre napolitain était un jeu singulier d’équilibre : il passait sa vie à rechercher l’appui de la diplomatie, à laquelle il fallait des promesses qu’il ne tenait jamais, et à proposer au roi des plans de gouvernement qui n’étaient pas acceptés ; puis, quand il était dans l’embarras, il se retirait à Sorrento où à Pozzuoli, affectant le découragement, gémissant sur le fatal aveuglement d’une cour réactionnaire et sur sa propre impuissance. « Après tout, disait-il alors, vingt années d’un bon gouvernement ne suffiraient pas pour effacer les dix dernières années d’un règne déplorable, et quand on a soixante-treize ans, il faudrait songer peut-être à autre chose qu’à entreprendre cette tâche. » Ce n’est pas l’intelligence qui manquait au prince de Satriano, c’est le caractère, et ici François II voyait se tourner contre lui un des plus tristes résultats de la politique de son père, la servilité des conseillers. « Il en sera ce qu’il plaira au roi ! » c’était là l’opinion habituelle des ministres de Ferdinand II. Filangieri était bien homme à comprendre la nécessité d’un changement de régime, même à paraître donner sa démission ; par habitude de dépendance et par désir de pouvoir, il n’était pas homme à pousser son rôle jusqu’au bout.

La première fois que le prince de Satriano joua cette comédie de démission, c’était dès le mois de juillet 1859, à la suite d’une lettre où il proposait au roi un programme de gouvernement, qu’il appelait lui-même un ballon d’essai. Ce ballon d’essai, c’était simplement l’exécution des lois, la suppression de l’arbitraire de la police et des scandaleuses exactions administratives, la justice régulière pour tous, une neutralité franche, loyale à l’extérieur, avec l’intention de prendre parti dans le sens des intérêts du pays. Le roi s’émut au premier instant, versa des larmes devant le duc de Taormina, fils du premier ministre, ne fit rien, et le prince de Satriano resta au pouvoir sans son programme, ne pouvant même obtenir le