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pour que les eaux de la Mer du Nord, qui jadis l’a nivelée, vinssent reconquérir en un instant le vaste territoire qu’elles ont abandonné. Les chemins de fer ne se piquent pas de vitesse au-delà du Rhin, et jamais je ne les trouvai aussi lents qu’entre Hanovre et la lisière du Harz. D’un œil fatigué, je voyais passer comme en rêve et tournoyer les maigres pâturages, les landes où le sol, çà et là retourné, laisse apercevoir une terre noire et tourbeuse, les ailes des moulins à vent, les bois de sapins où parfois se détachait sur un fond noir quelque maison de forestier solitaire avec des tuiles rouges et des solives enluminées, les interminables champs de blé, parfois un berger surpris dans sa pose immobile, couvert d’une longue capote de toile blanche rehaussée de quelques ornemens de couleur. Dans ces monotones régions, les noms seuls ont quelque éloquence. Comment s’arrêter par exemple à Wolfenbüttel sans se souvenir que Lessing passa une longue partie de sa vie dans la fameuse bibliothèque grand-ducale, si riche en souvenirs de Luther ?

Je quittai le chemin de fer, non sans un vif sentiment de plaisir, à la petite ville de Winenburg, et montai en voiture pour me rendre à Goslar, en traversant la région qui borde le Harz. Des lignes de collines aux ondulations très marquées s’allongent comme autant de ceintures en avant de la chaîne principale, et l’on passe ainsi de la plaine aux vraies montagnes par une transition naturelle. C’est alors que le Harz apparaît avec ses formes rondes et écrasées, qui s’étagent les unes derrière les autres jusqu’au Brocken. Celui-ci, pareil à un bouclier rond, montre sa cime grise et nue au-dessus de la ligne des forêts, toute coupée d’ombres profondes et de reflets veloutés. Cette vue panoramique, qui permet d’embrasser dans un seul regard tout le massif montagneux, se rétrécit à mesure qu’on approche. En arrivant à Goslar, on n’aperçoit plus que le Rammelsberg et quelques autres crêtes moins élevées. Au fond, derrière les clochers et les tourelles de la ville, s’ouvre la vallée dont les plans entre-croisés reculent, dans une ombre transparente, à l’intérieur de la chaîne. La lourde masse du Rammelsberg donne quelque chose de sévère et presque d’effrayant à un paysage autrement, plein de grâce. C’est bien ainsi qu’on peut se figurer une montagne toute pénétrée de métaux. Depuis mille ans, on en a tiré vraisemblablement pour 400 millions de francs. De loin, on aperçoit sur la croupe du mont des taches grises qui descendent jusqu’aux pentes inférieures : ce sont les haldes, où l’on sépare, au sortir de la mine, les parties métalliques des parties stériles. Ces dernières sont rejetées et forment à la longue d’immenses talus de pierres souvent pareils à une fortification gigantesque.

Dans tous les défilés où une vallée du Harz débouche sur les plaines