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que c’était par calcul qu’il cherchait plus qu’on ne l’a dit tous les moyens de sortir de cet isolement, fût-ce en s’adressant directement à la France. « Je connais ma position, disait-il un jour à un Napolitain dévoué et intelligent qu’il voulait charger d’une mission délicate, elle est très grave ; je ne me fais point d’illusion. L’Autriche m’a encouragé à la résistance, puis elle m’a abandonné ; la Russie ne peut rien que parler, et elle l’a fait. Rome, qui m’a tant détourné des concessions, me laisserait bientôt dans l’embarras, et d’ailleurs elle a bien assez à faire elle-même. La Prusse voudrait glisser une médiation pour en recueillir l’honneur et s’en faire un titre auprès des puissances. L’Angleterre, qui a provoqué la rupture, la rejette aujourd’hui sur la France, et en attendant l’état actuel est une source constante de dangers, réchauffe tous les fermens de révolution. Les conspirateurs et les traîtres m’entourent, je les connais, je les vois, et je sais que la crainte seule les arrête. Voilà ce qu’on ne sait pas, et voilà ce que je voudrais qu’on sût, sans plus écrire ; on a trop écrit sur tout cela, et c’est ce qui a tout gâté. Je voudrais donc qu’on connût bien en France, où l’on ne désire pas ma chute, les deux périls imminens entre lesquels je me débats. D’une part, mon isolement fait tout l’espoir de mes ennemis et multiplie les complots ; de l’autre, un seul acte de faiblesse me perd sans retour. Si tous ceux qui conspirent contre moi avaient osé, il y a longtemps qu’ils auraient réussi à me renverser. Ma fermeté seule les contient, et mon isolement entretient leurs intrigues. Ils n’agissent pas parce qu’ils craignent ma répression, ils conspirent parce qu’ils espèrent quelque complication. Le jour où ils verront que j’ai baissé le front, ils lèveront le masque, et tout sera dit. Voilà le motif, le seul motif de ma résistance. Crois-tu donc que ce soit pour ma satisfaction, ou par un sentiment de vengeance personnelle que je retiens Poërio et Settembrini ? J’ai tout fait pour qu’ils dissent un mot ; j’ai gagné de leurs amis pour les décider ; ils ne consentiront à rien, soutenus par la France et l’Angleterre… » Ainsi parlait Ferdinand II quelques mois à peine avant sa mort, avouant en secret ses faiblesses avec une familière franchise, et gardant au dehors une contenance presque superbe dont on ne démêlait pas le jeu. Le roi Ferdinand voyait clair assurément dans ses affaires ; il ne remarquait pas seulement que ces périls, cet état violent et contraint qu’il dépeignait, cette impossibilité des concessions dont il se faisait un bouclier vis-à-vis de l’Europe et de la France, cette condition d’un royaume où une étincelle pouvait tout enflammer, c’était lui qui les avait créés, et qu’au jour de sa mort, qui était proche, il allait laisser à son successeur l’accablant héritage d’une situation à demi perdue au milieu d’une crise nouvelle de la péninsule, de la politique