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nom, si les traités qui accordent toutes ces concessions avaient des élémens de stabilité ; mais il faudrait être par trop optimiste pour l’admettre. Je pense pouvoir affirmer que personne ici n’y croit sérieusement, et que tout le monde comprend au contraire que MM. les ambassadeurs de France et d’Angleterre, au lieu de résoudre la question chinoise, l’ont seulement fait entrer dans une nouvelle phase. Ils n’ont en effet qu’arraché un « oui » au gouvernement chinois, et ils ont laissé à leurs successeurs, M. Bruce et M. de Bourboulon, la lourde tâche de veiller à ce que ce « oui » soit efficace. La meilleure preuve de leur propre méfiance dans la durée du nouveau traité se trouve dans la mesure qu’ils ont dû adopter de laisser de fortes garnisons sur le théâtre récent de la guerre, à Chi-fou et à Shang-haï. La position de MM. Bruce et de Bourboulon n’est pas à envier ; mais M. Bruce est le frère de lord Elgin, et lui et M. de Bourboulon sont la cause immédiate de la dernière guerre. Ils recueillent ce qu’ils ont semé, et doivent accepter sans murmurer la position qu’ils se sont faite eux-mêmes. Pour juger cette position, qui est celle de la France et de l’Angleterre en Chine, il faut jeter un coup d’œil sur ce qui vient de se passer ici depuis un an.

« La France et l’Angleterre venaient de conclure un traité avec la Chine : M. de Bourboulon et M. Bruce devaient se rendre à Pékin pour y procéder à l’échange des ratifications ; arrivés à l’embouchure de la rivière qui conduit par Tien-tsin à la capitale, ces ministres y trouvèrent des fortifications qui les empêchaient de poursuivre leur chemin sur la route projetée. En même temps le gouvernement chinois leur fit signifier que ces fortifications avaient été élevées comme défense contre les pirates, mais que le chemin de Pihtang était libre, et que les ministres n’avaient qu’à passer par là. M. de Bourboulon et M. Bruce insistent pour passer par Tien-tsin ; les Chinois s’y opposent, un combat s’engage ; les Français et les Anglais sont battus et forcés de se retirer après avoir subi des pertes sensibles.

« Voilà l’introduction à la dernière guerre de Chine. Nous avons le beau rôle dans le drame qui va se dérouler. Nous arrivons ici pour venger une insulte sanglante faite aux pavillons de la France et de l’Angleterre. Quelques personnes osent insinuer que MM. Bruce et de Bourboulon n’auraient point été déshonorés, s’ils avaient fait les concessions que M. Ward, le ministre des États-Unis, a trouvées compatibles avec l’honneur de l’Amérique ; elles ajoutent que MM. Bruce et de Bourboulon auraient pu, sans le moindre inconvénient, prendre la route de Pihtang, et éviter à la France et à l’Angleterre les innombrables et horribles misères qui accompagnent toute guerre ; mais ces personnes parlent si bas, et les défenseurs de la politique agressive du frère de lord Elgin parlent si haut, que l’opinion publique n’entend qu’une cloche, qui lui sonne aux oreilles : « Il faut châtier les Chinois, qui sont d’abominables traîtres ! »

« On commence donc en Europe à se préparer à une nouvelle guerre contre la Chine ; les chambres votent les millions nécessaires pour subvenir aux frais de la campagne, et vingt mille hommes, tant Français qu’Anglais, partent pour l’extrême Orient, où ils doivent appuyer les demandes que M. le baron Gros et lord Elgin sont chargés de faire à la cour de Pékin.

« Les hostilités furent ouvertes au commencement du mois d’août par la prise de possession des forts de Pihtang, au nord de ceux du Peï-ho, et que