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nous faisons allusion des devoirs d’une nature particulière. Ils peuvent avoir le droit de croire que le sentiment de leur propre dignité leur prescrit la réserve, leur commande de ne point aller au-devant des honneurs politiques, ou leur conseille au moins d’attendre que le pays aille les arracher à leur retraite par des manifestations ou des démarches bien claires. Un autre scrupule peut les arrêter : toute la signification de leur nom est dans le passé ; ils peuvent craindre que ce passé qu’ils portent en eux ne soit un trop lourd fardeau pour un parti naissant, n’attire des récriminations injustes contre ce parti, et ne lui laisse point la signification nette et neuve qu’il doit prendre et garder dans le présent et pour l’avenir. Enfin leur situation personnelle, grâce à leur talent, à l’éclat de leur nom, aux positions qu’ils ont occupées, aux événemens qu’ils ont traversés, est devenue si considérable, qu’elle se concilierait difficilement avec les concessions que la discipline bien entendue et bien pratiquée des partis impose plus encore peut-être aux chefs qui les conduisent qu’aux membres secondaires ou obscurs qui les forment.

Pénétrés de ces considérations, nous sommes donc disposés à suivre sans doute avec un vif intérêt le mouvement électoral qui se prépare, et à y seconder tout ce qui pourra manifester ou promettre la formation d’un nouveau parti libéral, mais sans ambition pour nos anciennes illustrations politiques, sans impatience et sans empressement dans les questions personnelles. Nous le répétons, la cause libérale existe en France puissante et vivace, malgré les apparences, par la fécondité des idées, la grandeur des intérêts et la force latente des choses ; mais notre rêve serait qu’on la laissât pour ainsi dire faire son parti elle-même, spontanément, naturellement, et qu’on ne s’exposât point à compromettre le succès de cette œuvre de rénovation et de rajeunissement par l’immixtion intempestive des élémens du passé. Nous croyons que c’est aujourd’hui la meilleure manière de servir notre cause ; nous souhaitons que la formation du parti libéral s’accomplisse par le recrutement d’hommes nouveaux. Nous n’aurons donc pas le cœur de blâmer ceux des honorables vétérans du libéralisme qui comprendront ainsi leur devoir. Il ne sera pas au pouvoir de leurs adversaires de confondre une patience inspirée par l’abnégation avec une abstention injurieuse au pays. Qu’aurait-on à reprocher à des hommes qui veulent travailler au succès de leurs idées sans rechercher les succès personnels, et qui ne se laissent point troubler par la crainte égoïste et enfantine qu’on ne répète un jour à leur adresse le sic vos non vobis ?

La question électorale n’est pas la seule qui puisse occuper utilement le corps législatif dans la discussion de l’adresse. Un examen sérieux de l’état de nos finances devrait inaugurer l’ère nouvelle qui s’ouvre pour la chambre des députés. La situation financière de l’Europe est au moins aussi mauvaise que sa situation politique. Certes, au milieu de tant d’états dont les ressources sont épuisées, la France, avec l’élasticité de ses revenus et les facilités d’emprunt qu’elle possède, fait une florissante figure ; mais, puisque