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de l’Autriche : il a probablement pris le même parti. L’opinion publique ne peut qu’approuver hautement cette résolution, soumise du reste par les représentans anglais et français à la décision de leurs gouvernemens respectifs. À quoi bon en effet résister dans un conseil qui ne peut rien, dont la Porte veut l’ombre et le nom, et ne veut pas l’action efficace ? A quoi bon prêter l’autorité du nom de la France et de l’Angleterre à une fantasmagorie menteuse d’ordre et de régularité ? Assurément les représentans de la France et de l’Angleterre adjoints au conseil des finances n’étaient pas des ennemis de la Turquie : ils croyaient la régénération de la Turquie possible ; mais encore faut-il, pour régénérer la Turquie, que la Turquie le veuille, qu’elle en prenne la peine, qu’elle en ait la vertu. Toujours dépenser, toujours emprunter et ne jamais payer, ce n’est point marcher à la régénération, mais à la banqueroute. Les membres européens du conseil avaient commencé par croire que les Turcs ne péchaient que par ignorance, et qu’ils n’avaient besoin que de bons précepteurs. Ils ne veulent pas de précepteurs qui les gênent ; ils veulent des complices ou des chaperons. Or les honnêtes gens ne peuvent pas chaperonner la mauvaise foi, dès qu’ils la reconnaissent. De là la retraite des membres européens du conseil des finances.

Voilà ce que j’appelle la partie personnelle de notre conclusion, J’ai à peine besoin d’indiquer la partie morale : elle éclate à chaque page. Je veux cependant en résumer les traits principaux.

Que veut le gouvernement ottoman ? Régler ses finances, corriger ses dilapidations, augmenter ses recettes, exploiter habilement et honnêtement les ressources qu’il a ? Non ! Tout cela demande des vertus, que la Turquie n’a pas. Elle veut faire un emprunt ; elle veut, comme le joueur, trouver de l’argent de quelque manière que ce soit, dût pour cela le Grand-Turc épouser Mme La Ressource. La Turquie a déjà beaucoup emprunté, et comme elle a peu payé, elle devrait désespérer, de trouver encore des prêteurs ; mais elle croit qu’on peut toujours trouver de l’argent en Europe, tout dépend du prix, et elle est entretenue dans cette pensée par bien des motifs et par de nombreux chercheurs de solutions financières en dehors des conditions qui seront éternellement celles du crédit public. Un passage du livre de M. Senior traduit d’une manière plus vive ce que je viens de dire : « La Turquie est le vrai pays des affaires. Tous ces palais, tous ces jardins en terrasse sont le fruit de l’agiotage, quand ils ne proviennent pas d’une source pire[1]. »

Cependant, nous disent nos correspondans, la crise s’aggrave, les

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