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pas pu savoir si ces commissions avaient jamais été formées ; ce qui est certain, c’est qu’elles n’ont envoyé au conseil ni rapport, ni exposé, ni compte-rendu.

Enfin, pour ajouter encore à l’éclat et à l’apparence de ce conseil, une dépêche fut adressée par la Porte aux cabinets étrangers pour leur faire connaître les pouvoirs étendus qu’elle accordait au conseil qu’elle instituait. L’histoire de cette dépêche adressée aux cabinets étrangers, et qui définissait les pouvoirs du nouveau conseil, est fort curieuse, et rien ne montre mieux l’esprit et le caractère du gouvernement turc. Les membres européens du conseil n’étaient pas dupes de cette transformation de la commission : ils voyaient bien que, sous prétexte de l’agrandir, on avait voulu seulement introduire quatre nouveaux membres, tous sujets de la Porte ottomane, et avoir ainsi une majorité permanente et décisive contre les membres européens. Ils croyaient cependant que, si le conseil avait des pouvoirs plus étendus que la commission, ils pourraient engager ce conseil à se servir de son autorité pour remettre un peu d’ordre dans les finances. En conséquence ils demandaient que les attributions du conseil fussent fixées par une décision. Cette décision ne venait pas. Comme ils connaissaient la dépêche adressée à l’Europe, ils demandaient comment il se faisait que l’Europe fût si soigneusement informée de l’étendue des attributions du conseil, et que le conseil ne le fût pas lui-même. Ils réclamèrent la communication de la dépêche, qui fut recherchée dans les archives de la Porte, et, chose extraordinaire, retrouvée : elle fut lue dans la séance du 28 juillet 1860, et tous les membres européens du conseil demandèrent que les attributions dont cette dépêche prétendait que le conseil était investi lui fussent accordées. Le président déclara qu’il ne connaissait pas cette dépêche ; mais il s’engagea à solliciter la Porte, afin qu’elle voulût bien déterminer la part d’autorité attribuée au conseil. Malgré les sollicitations pressantes que fit sans doute le président, la Porte garda le silence, et le conseil continua d’ignorer quels sont ses pouvoirs. Ils sont notifiés à l’Europe, et cachés ou refusés au conseil ; en tenant cette conduite, la Porte doit se résigner à se voir prêter la pensée de chercher à inspirer la confiance en Europe, sans rien vouloir changer à ce qui se passe en Turquie.

Nos correspondans de Constantinople mettent ici le doigt sur la plaie avec douceur, mais avec justesse. Il y a un vieux proverbe français qui dit qu’il faut savoir tapisser sur la rue. La Porte-Ottomane pratique ce proverbe, elle tapisse sur l’Europe. Veut-elle faire croire à l’Europe qu’elle va réformer ses finances ? Elle institue un grand conseil, elle avertit l’Europe des grandes attributions qu’elle accorde à ce conseil, et pour être bien sûre que l’Europe, sera satisfaite