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peu à peu ses préjugés, serait arrivé à une appréciation plus juste des convenances et de ses véritables intérêts.

« Mes informations et cette opinion n’avaient point cependant un caractère assez positif pour les communiquer à votre excellence avant d’avoir obtenu le second rendez-vous que m’avait annoncé M. de Nesselrode. Je savais qu’il avait vu l’empereur, qu’il devait le revoir encore, et j’attendais. Hier enfin, j’ai été prié de passer chez lui. Il m’a d’abord donné à lire une dépêche sur les affaires de Grèce dont vous aurez connaissance. Je lui ai demandé ensuite s’il n’avait rien de plus à m’apprendre. « Non, voilà tout. — Cependant ?… — Je n’ai rien à vous dire. »

« Après un moment de silence, M. de Nesselrode m’a pourtant racontée qu’il allait écrire à M. de Kisselef une lettre qui serait communiquée à votre excellence, et qui répondrait à votre lettre particulière du 20 mai. « Entre nous, a continué le vice-chancelier, rappelant ce qu’il m’avait dit dans mon premier entretien, je crois que votre gouvernement a été un peu trop vite. Pour le moment, il n’y a point à s’occuper de quelques-unes des questions qui ont été agitées dans les lettres particulières que vous m’avez données à lire. L’empereur a trouvé qu’on lui imposait des conditions, et cela a détruit le bon effet du premier compte-rendu. Au reste, a-t-il ajouté, si les choses sont gâtées, elles sont loin de l’être à tout jamais, et à la première occasion on pourra les reprendre. »

« J’ai répondu à M. de Nesselrode que je regrettais beaucoup que l’empereur eût donné une aussi fausse interprétation aux intentions du gouvernement du roi en admettant qu’on voulait lui imposer des conditions, que j’affirmais que vous n’aviez eu d’autre pensée que celle de vous expliquer franchement et dignement, afin de ne point exposer à des mécomptes, faute de s’être mal compris, les souverains de deux grands états.

« M. de Nesselrode, qui ne peut assurément partager l’opinion de l’empereur, et qui connaît tout comme nous la vraie cause de cette si grande susceptibilité, a préféré ne rien dire de plus, et terminer ainsi notre entretien.

« Quelques confidences récentes me feraient supposer que l’empereur laissera croire à son entourage qu’on a voulu lui mettre le marché à la main, et que, s’il n’y a pas rapprochement entre les deux pays, c’est plutôt au gouvernement du roi qu’il faut en attribuer la cause. Je ne comprends pas comment de bonne foi on pourrait maintenir une pareille assertion, qui ne saurait avoir été mise en avant, si elle l’a été réellement, que pour masquer un amour-propre excessif, contre lequel, depuis douze ans, tout raisonnement vient se briser. »