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Ce contre-projet avait le malheur de se trouver sans rapport aucun avec les circonstances du moment. Comme pour blesser à plaisir les cours alliées, l’empereur s’y donnait encore les titres de roi d’Italie et de médiateur de la confédération suisse. Il voulait bien consentir à renoncer à ce qu’il appelait ses droits sur les provinces illyriennes, il offrait d’abandonner les départemens français d’au-delà des Alpes (l’Ile d’Elbe exceptée) et ceux de l’autre côté du Rhin : il offrait aussi de passer la couronne d’Italie à son héritier, le prince Eugène ; mais il réservait Lucques et Piombino pour la princesse Élisa, la principauté de Neufchâtel et le grand-duché de Berg pour les titulaires actuels, et les Iles-Ioniennes pour le nouveau royaume d’Italie ! En face des résolutions connues et déclarées des puissances coalisées, en présence de la véritable situation des choses, un semblable projet était un défi ou une dérision.

M. de Metternich, il faut lui rendre cette justice, n’avait rien épargné pour faire arriver la vérité jusqu’à Napoléon par l’intermédiaire de l’envoyé français à Châtillon ; jusqu’au dernier instant, il ne cessa jamais d’adresser lettres sur lettres au duc de Vicence pour le tenir au courant des intentions des cours alliées. « Si la paix ne se fait en ce moment, lui mandait-il avec une parfaite bonne foi, nulle autre occasion ne se présentera plus dans laquelle il pourra être permis à un ministre anglais de proposer même une négociation. Le triomphe des partisans de la guerre à extinction contre l’empereur des Français sera assuré. Le monde sera bouleversé, et la France sera la proie des événemens[1]. »

Quand il eut connaissance du contre-projet de Napoléon, M. de Metternich en fut comme atterré. Dans une dernière lettre au duc de Vicence, il le supplia pour ainsi dire de se faire l’intermédiaire de propositions plus admissibles. Donnant même à entendre qu’il ne serait pas tout à fait impossible aux puissances étrangères de se relâcher un peu de leurs premières exigences, il laissa échapper quelques mots sur la Savoie, « dont on n’avait pas encore disposé et qui pourrait être concédée à la France ; mais, ajoutait-il avec une certaine ironie, les questions sont trop fortement posées pour qu’il soit possible de continuer à écrire des romans[2]. »

Le duc de Vicence n’avait pas besoin qu’on lui fit sentir la vanité des combinaisons que ses instructions l’obligeaient de mettre en avant ; mais que pouvait-il faire ? Il avait les mains liées. En vain il s’était efforcé de faire brèche dans cette coalition formidable de six plénipotentiaires étrangers toujours unis comme un seul homme

  1. Lettre de M. de Metternich au duc de Vicence, Chaumont, 8 mars 1814.
  2. Lettre de M. de Metternich au duc de Vicence du 18 mars.