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plus importante que M. de Metternich se proposait d’avoir le lendemain avec M. de Saint-Aignan. En ce moment, l’Autriche désirait la paix ; elle souhaitait sincèrement quelque arrangement qui, en donnant à l’Europe les garanties dont elle avait besoin, fût en même temps acceptable pour l’empereur Napoléon. Les circonstances étaient favorables. Les puissances coalisées hésitaient à franchir le Rhin, et, pleines des souvenirs du passé, redoutaient de rencontrer sur l’autre bord une résistance acharnée pareille à celle que leur avaient naguère opposée les armées de la république. Ainsi qu’il arrive d’ordinaire aux coalitions, elles n’étaient pas sans méfiance les unes des autres. Au sein des états-majors des différentes armées comme dans les bureaux des diverses chancelleries, on pressentait que plus l’on pousserait en avant, plus les motifs de dissentimens auraient chance de se produire. La crainte de voir rompre un accord qu’il avait tant de peine à maintenir préoccupait surtout M. de Metternich, conseiller principal d’un souverain un peu timide, qui était à la fois le chef ostensible de la coalition et le beau-père de Napoléon. Parmi les ministres étrangers réunis au quartier-général de Francfort, il n’était pas d’ailleurs le seul animé d’intentions pacifiques. Ses vues modérées étaient partagées par le comte de Nesselrode, chargé du portefeuille des affaires extérieures de Russie, esprit élevé et conciliant, le plus sage parmi ceux dont l’empereur Alexandre prenait alors les avis. Il rencontrait le même assentiment, et pour ses tentatives de négociation un très précieux appui, chez lord Aberdeen, ambassadeur d’Angleterre à Vienne. Lord Aberdeen suivait alors, par ordre de sa cour, le quartier-général des armées alliées. Quoique très jeune encore, il avait acquis déjà une précoce influence, et, par sa noble simplicité, son vaste savoir, sa modération plus rare encore, jetait dès lors les premiers fondemens de cette réputation d’homme d’état que le temps a depuis consacrée et grandie[1].

D’accord avec eux, M. de Metternich avait fait prier M. de Saint-Aignan de passer chez lui le 9 novembre, à neuf heures du soir. Quand M. de Saint-Aignan arriva chez le ministre autrichien, celui-ci était seul. Il accueillit M. de Saint-Aignan en le chargeant de beaucoup

  1. « Lord Aberdeen est de la famille des Gordon. C’est un homme instruit, qui a beaucoup voyagé, particulièrement on Grèce. Son extérieur est simple, son ton extrêmement modéré. Il parle français avec quelque difficulté, mois trouvant bien cependant les expressions justes. On dit qu’il a une grande influence au parlement, et qu’il entrera au ministère en quittant l’ambassade de Vienne, qu’il n’a demandée, m’a dit le comte de Metternich, que dans l’espoir de faire la paix. Il passe pour avoir beaucoup de sagesse et de mesure dans ses opinions. On pense que s’il y a une négociation, ce sera lui qui en sera chargé. » Rapport de M. de Saint-Aignan, passage retranché dans le Moniteur supprimé du 20 janvier 1814.)