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(columba livia) comme la souche commune de tous les pigeons domestiques. Plus tard, des considérations de diverse nature l’amenèrent à penser que le ramier (columba palumbus) et la tourterelle d’Europe (columba turtur) pouvaient bien avoir été pour quelque chose dans la production de nos plus belles races. La plupart des naturalistes se rapprochèrent de ces dernières idées de Buffon, et Cuvier lui-même regarda comme possible que quelques espèces voisines du biset eussent contribué à la création de nos races domestiques. Au reste, ni Cuvier ni Buffon n’invoquent un seul fait à l’appui de leur opinion. En les lisant, on voit qu’en présence de cette variété infinie de formes, ils sont étonnés, et qu’ils hésitent à les rattacher toutes à un type primitif unique : voilà tout ; mais M. Isidore Geoffroy a constaté un fait en opposition directe avec la solution proposée par ses deux illustres devanciers. Il a fait observer que les descendans des races les plus modifiées présentent parfois en tout ou en partie, quelquefois d’une manière complète, les caractères du biset, et jamais ceux d’une autre espèce. Il a conclu qu’il y a là une présomption en faveur de la communauté d’origine, tandis que rien ne milite en faveur d’une origine multiple. M. Darwin est allé plus loin. Amené par ses études générales à s’occuper spécialement du problème des pigeons, il a voulu le creuser à fond. Il s’est donc entouré de tous les documens recueillis avant lui ; il s’est procuré toutes les races d’Europe et des colonies anglaises ; il est entré en relations avec les principaux éleveurs de Londres, s’est affilié à deux clubs spéciaux, et s’est livré à de nombreuses expériences. Ce n’est qu’après avoir ainsi cherché la vérité par tous les moyens possibles qu’il a cru pouvoir conclure, et sa conclusion en faveur de l’unité de l’espèce est des plus affirmatives. Pour lui, le biset est la souche unique de tous les pigeons domestiques.

À l’appui de son opinion, Darwin invoque plusieurs ordres de faits qui tous conduisent au même résultat. — Quelque grandes que soient les différences qui séparent les races extrêmes du biset, on peut toujours établir entre ces deux termes des séries graduées qui les relient intimement. Nulle part on ne rencontre ces caractères précis qui distinguent l’une de l’autre deux espèces, même très voisines. — En croisant ensemble des individus appartenant aux races les plus dissemblables, en détruisant pour ainsi dire les uns par les autres les caractères qui les distinguent, on obtient parfois dès la troisième génération des individus entièrement semblables au biset. Le type primitif se dévoile ainsi en quelque sorte de lui-même. — A vouloir expliquer par la diversité des espèces originaires l’existence de toutes les races de pigeons, il faudrait admettre l’existence d’au moins sept ou huit espèces, unissant à certains caractères propres au biset d’autres caractères entièrement étrangers à tous les