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de fournir de la viande, la plus abondante et la plus savoureuse possible. Nul amateur ne s’est inquiété de conserver la splendeur sévère de son plumage originel ou d’en faire varier les teintes, et cependant quels changemens, quelles variétés de couleur présentent déjà tous ces dindons, qui, dans les trois quarts de nos fermes, se mêlent à nos vieilles poules gauloises ! C’est un des exemples qui montrent comment les races naissent à côté de l’homme sans qu’il s’en mêle pour ainsi dire et comme à son insu, par le fait seul des mille conditions diverses qu’il crée autour de lui. Cet exemple suffit à faire comprendre combien ces races devront se multiplier et se caractériser davantage lorsqu’interviendra une volonté qui se donnera pour but de les modifier sans cesse et pour le plaisir de faire du nouveau, combien aussi il deviendra plus difficile de remonter à la source première et de s’assurer de l’unité de l’espèce au milieu de toutes ces formes dérivées, parfois très disparates entre elles. C’est ce qui est arrivé pour les pigeons, et ce qui leur mérite de notre part une mention toute spéciale.

Cette espèce est certainement une des plus anciennement domestiquées. Darwin cite à ce sujet les recherches de MM. Birch et Lepsius, d’où il résulte que les pigeons figuraient dans les repas des Égyptiens dès la cinquième et même la quatrième dynastie. Élevés par les Grecs peut-être dès les temps de la guerre de Troie, ces oiseaux passèrent plus tard à Rome, et furent adoptés par la mode et le luxe. Au temps de Pline, on conservait la généalogie des pigeons de Campanie comme nous le faisons pour nos chevaux pur sang. Au XVIe siècle, les Hollandais imitèrent les Romains, et à la même époque Akbar-Khan se délassait de ses conquêtes en réunissant dans de vastes volières plus de vingt mille pigeons, en recherchant les variétés les plus rares, en s’efforçant de les multiplier par des croisemens répétés. De nos jours enfin, les pigeons sont restés en grande faveur auprès des amateurs. L’Angleterre surtout compte de nombreux pigeom-clubs, dont les membres n’épargnent ni soins ni dépenses pour élever leurs oiseaux favoris. Dans des conditions pareilles, on comprend que l’espèce a dû subir des changemens nombreux et profonds. Aussi Buffon comptait-il seulement en Europe onze grands groupes, comprenant chacun un certain nombre de races principales, sans parler des races secondaires et de moindre intérêt. Ces chiffres seraient aujourd’hui bien en arrière de la vérité, et c’est certainement par centaines qu’il faut compter les races de pigeons. Ici donc se présente avec tout son intérêt, avec toutes ses difficultés réelles., la question que nous posions tout à l’heure en termes généraux : — toutes ces races descendent-elles d’une seule et unique espèce ?

Buffon répondit d’abord affirmativement, et il regarda le biset