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elles les différentes variétés de nos fruits. On estime à plus de cinquante pour les pêches, à plus de cent pour les prunes, à plusieurs centaines pour les pommes, les formes diverses déjà obtenues, et chaque jour encore il s’en produit quelque nouvelle. Duhamel portait à cent, vers le milieu du dernier siècle, le nombre des poires connues, et un des derniers catalogues de la Société d’agriculture de Londres élève ce chiffre à six cents. Dans son Ampélographie, M. le comte Odart admet environ mille sortes de raisins. Il est vrai que toutes ces formes et sortes de fruits ne constituent pas autant de races : la plupart ne sont que des variétés multipliées par la greffe et les autres procédés généagénétiques en usage chez les cultivateurs. Toutefois, parmi nos arbres fruitiers eux-mêmes, et contrairement à une opinion assez générale, il existe de véritables races. Les passègres des Cévennes, les tullins du Dauphiné, nous fournissent l’exemple de pêches fort bonnes à manger, et qui se reproduisent par semis. M. Sageret a montré qu’il en était de même pour les prunes reine-Claude, perdrigon blanc, Sainte-Catherine, damas rouge, etc. Le même expérimentateur a complètement échoué avec les diverses poires qu’il a essayé de semer ; il n’a obtenu que des arbres qui avaient repris les caractères de l’espèce sauvage. En revanche, il a eu par semis de véritables chasselas, et M. Vibert a confirmé ce résultat. Au reste, diverses observations, dues à Roxas Clémente, avaient déjà montré qu’il existe de véritables races de vignes. Ce célèbre ampélographe espagnol a décrit entre autres ce qu’on appelle en Andalousie l'algaïda de San-Lucar. C’est un terrain, de deux lieues de long sur une demi-lieue de large, entièrement envahi par des vignes redevenues sauvages. Là, chaque cépage livré à lui-même, et se reproduisant spontanément par graine, n’en a pas moins conservé tous ses caractères. Clémente a conclu de ce fait que nos vignes remontent à plusieurs espèces distinctes ; mais malgré les doutes qui peuvent encore exister sur ce point, la plupart des botanistes regardent tous nos cépages comme se rattachant à une espèce unique[1].

Si nos arbres fruitiers, nos arbustes d’agrément et les plantes vivaces qui ornent nos parterres ou enrichissent nos potagers se prêtent à l’emploi de la greffe, du marcotage, de la bouture, il n’en est pas de même des plantes annuelles ; avec elles, on ne peut plus procéder que par semis. Les variétés disparaissent donc chaque année, et cependant nous pouvons constater ici encore qu’entre les mains de l’homme les formes de ces plantes se sont étrangement modifiées. Une même plante, le cynara cardunculus, a donné naissance à nos

  1. Dans le rapport que nous ayons déjà cité plusieurs fois, M. Chevreul déclare ne pouvoir encore se prononcer sur cette question.