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qu’exerce sur l’esprit le mot d’unité. On sait à quels écarts la poursuite de l’unité a entraîné plus d’une philosophie, et même dans la sphère de l’abstraction elle est un mauvais guide. La juste mesure dans laquelle l’unité, qui a bien sa beauté et sa vérité, doit être cherchée en chaque chose est une des questions les plus difficiles pour notre raison. On célèbre avec regret aujourd’hui certaines époques du passé à cause de l’unité qu’on leur attribue. Sans rechercher jusqu’à quel point l’attribution est exacte et l’éloge mérité, remarquons au contraire que la tendance à l’unité ne s’est pas affaiblie, et qu’elle est plutôt un des caractères du temps où nous vivons. La civilisation marche à l’assimilation des sociétés. La facilité, la rapidité des communications secondent le mouvement des mœurs et des idées vers l’uniformité. Certaines formes politiques, jadis particulières à un ou deux peuples, tendent à se généraliser. Par une impulsion commune, les petits états s’agglomèrent pour en constituer de plus grands, et dans chaque état il y a progrès vers la centralisation. Pour revenir au sujet de cette étude, le catholicisme a fait de grands pas, et qui auraient étonné nos pères, vers le romanisme absolu, ce qui est la centralisation de cette société-là. Tous ces symptômes ne sont pas sans gravité, et dans ce qu’ils témoignent tout n’est pas un bien sans mélange. Au mal qui s’y mêle, le meilleur remède, le plus sûr tempérament est un principe qui s’est levé sur le monde comme l’astre du jour de la renaissance. C’est le principe de la liberté, qui, par une circonstance honorable pour les peuples modernes, s’est révélé pleinement à eux pour la première fois sous la forme de la liberté de l’esprit. Telle est en effet la première liberté qu’ait réclamée le XVIe siècle, et ce noble besoin de la pensée s’est produit par la voix des génies libérateurs qui ont illustré cette époque avant que l’intelligence ou le vœu des garanties nationales, des franchises politiques ou municipales, des droits civiques en un mot, vînt agiter plus directement la société européenne. De là ce caractère philosophique imprimé à presque toutes les œuvres de la liberté moderne. Jusque dans ses déviations les plus malheureuses, on sent que, par son origine, elle est une chose de l’ordre spirituel ; mais surtout elle est, elle doit être la tradition des temps nouveaux, hors de laquelle la civilisation, devenant presque exclusivement économique, industrielle, matérielle, risquerait de n’améliorer que le sort de l’humanité sans la relever ni l’ennoblir, et l’asservirait à son bien-être au lieu de subordonner ses intérêts à ses droits. La liberté, comprise jusque dans son principe, est donc la vraie, la seule unité qui, respectée et consacrée en toutes choses, modérerait cette tendance un peu aveugle vers toute autre unité, toujours près de se changer en oppression. C’est par la liberté de la