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de la continuation du schisme. « Ne vaudrait-il pas mieux pour Rome de regagner la plus grande partie de la langue germanique, quand on devrait demeurer en différend sur quelques opinions durant quelque temps ? » Car en général, suivant lui, la difficulté est plus dans les pratiques que dans les doctrines. « De la manière dont nous nous y prenons, ajoute-t-il, il semble que les catholiques deviendraient aussi tous protestans et que les protestans deviendraient catholiques… Il en viendra un mixte, s’il plaît à Dieu, qui aura tout ce que vous reconnaissez de bon en nous et tout ce que nous reconnaissons de bon en vous. » Voilà l’expression sincère de la doctrine irénique, telle que Leibniz l’a toujours entendue, et telle qu’elle a constamment scandalisé ceux qu’il s’obstinait à ne pas regarder comme des adversaires.

Il sera toujours louable d’avoir pensé ainsi, et l’on ne peut dire qu’il soit absolument refusé aux hommes d’être assez éclairés et assez libres de passion pour signer sur ces bases la paix religieuse. L’incrédule le plus déterminé n’oserait soutenir que les lois morales données par le christianisme à la conscience ne soient pas bonnes, justes, salutaires. Si les églises pouvaient être assez sages pour les observer et les prescrire d’un commun accord, ce serait assurément un bien et un progrès, et comme ce résultat n’est pas contradictoire en soi, on ne peut le déclarer impossible. L’honneur de Leibniz est d’y avoir aspiré, d’y avoir travaillé, et de s’être fait ainsi l’artisan du vœu des sages. L’erreur de Leibniz pourrait être d’avoir cru la réalisation de ce vœu plus praticable qu’elle n’était en effet, et d’avoir trop jugé des autres d’après lui-même. Peut-être n’a-t-il pas assez vu quelle part prenait dans son plan l’impartialité de son éclectisme et de son optimisme, et qu’on ne pouvait attendre le même détachement, la même équité, de ceux à qui manquaient les principes et les habitudes philosophiques qui dominaient dans son esprit.

La religion est vaste, peut-être la plus vaste chose qu’il y ait sur la terre. Au nombre des divers caractères qu’elle réunit, voici, ce semble, les principaux : elle est dogmatique, elle est morale, elle est politique. C’est de la religion comme chose morale que Leibniz a surtout considéré et souhaité l’unité. Il s’est attaché à l’unité morale plus qu’à l’unité politique, beaucoup plus qu’à l’unité dogmatique. Il réduisait presque celle-ci à une communauté de formules qui laissait libres le for intérieur de la raison et l’examen interprétatif, dont il lui paraissait à juste titre qu’on ne pouvait prétendre ni réussir à effectuer réellement la suppression. Et sans contredit cette unité morale ainsi obtenue, cette union des cœurs et des langues sans l’unanimité doctrinale, pouvait échapper aux dangers