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défensive qu’on peut rendre à peu près inexpugnable. C’est ainsi qu’il s’établit à Taroutino le 2 octobre. Là, dans l’abondance, profitant des ressources d’un pays fertile, organisant à loisir les renforts qui lui arrivent de tous côtés, il attendra désormais son heure, l’heure de vaincre, peut-être aussi l’heure de négocier. Un autre traité de Bucharest tentait en effet ce soldat diplomate.

Nous touchons ici à une série de détails que le dernier et le plus complet historien de cette mémorable campagne a imparfaitement éclaircis.- Ceux-là seuls ont le droit de nous intéresser. Sur les autres, la lumière est faite, et nous ne pourrions que l’affaiblir en essayant de la refléter. Laissons donc Murat, aux prises avec Miloradovitch, venir s’installer près de Vinkovo, derrière la Czernicznia, et là, en face de l’armée russe, « former ses faisceaux » en attendant la paix dont l’espoir le berce, comme il berce au Kremlin Napoléon lui-même, et Kutusov peut-être sous sa tente de Taroutino.

Ses penchans bien connus, ses habitudes de dissimulation, signalaient le vieux général à la surveillance jalouse de ses collègues et à la défiance toute spéciale de l’agent anglais. Celui-ci, éclairé par sa haine, devinait à peu près la situation de l’armée française, épuisée, menacée de dissolution. Il avait écrit à l’ambassadeur anglais à Constantinople : « L’ennemi serait perdu si le maréchal (Kutusov) le voulait bien. » Et M. Liston lui répondait : « Vos nouvelles ont été les bienvenues. Il ne fallait rien moins pour sauver la Turquie[1]. » Ce fut sur ces entrefaites que le 4 octobre un Cosaque arrivant au galop vint remettre à sir Robert Wilson, qui bivouaquait avec Miloradovitch, un billet par lequel Beningsen et d’autres généraux le sollicitaient de revenir immédiatement au quartier-général. « Le maréchal, lui écrivaient-ils, a consenti, et consenti par écrit, à une conférence avec Lauriston. Elle est convenue pour minuit, au-delà des postes avancés. »

Se transportant en toute hâte au camp de Taroutino, sir Robert Wilson trouva réunis une douzaine de généraux, Beningsen en tête, et on lui fournit les preuves les plus irréfragables de ce qu’ils appelaient. « le complot » de leur commandant en chef. Kutusov devait se rendre sur la route de Moscou, en avant des vedettes russes, et là conférer avec Lauriston sur des propositions apportées au nom de Napoléon. Celui-ci offrait : « la retraite immédiate de toute l’armée d’invasion, qui évacuerait le territoire russe, la convention à cet égard devant aussi servir de base à une paix dont elle ne serait

  1. Allusion à l’influence toujours croissante qu’Andréossi reprenait à Constantinople, aidé par les succès de la grande armée. Il avait obtenu la chute du grand-vizir Achmet-Pacha), décapité immédiatement selon l’usage, et les deux princes Morusis, aides-négociateurs du traité de Bucharest, avaient eu les mains coupées.