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se dirigeant vers celle de Kalouga, elles bivouaquent le soir même à Konstantinovskoï, près de Nekitsh. Deux régimens de Cosaques, laissés tout exprès sur la route de Kolomna, continuent à simuler la retraite, et entraînent derrière eux Sébastiani, qui s’attache à ce fantôme d’armée et le suit jusqu’à Biemel, c’est-à-dire à plus de trente milles (dix lieues environ)[1] au-delà de Moscou. Le 18, le quartier-général russe est à Koutousov, près de Podolsk, et le 19, passant sur la rive gauche de la Pakra, dont ils remontaient jusqu’alors la rive droite, les Russes s’installent à Krasnoï-Pakra, dans le voisinage presque immédiat de notre ligne de communication. L’armée de Kutusov était en effet à vingt-cinq milles anglais (huit ou neuf lieues) de Moscou, et ses avant-postes n’en étaient qu’à cinq lieues. À partir de ce moment, les soldats russes reprennent courage. « Ils comprenaient, dit sir Robert Wilson, la valeur et, pour ainsi parler, la dignité de leur position. » Le sentiment de dégradation qui pesait sur eux s’efface par degrés ; la confiance renaît avec l’espoir de combattre encore l’odieux ennemi, le sacrilège incendiaire.

Cependant Murat et Bessières, le premier au sud-est, le second au midi, cherchaient la piste perdue de Kutusov. Le 23, Murat la retrouve. Il remonte la Pakra, qu’il franchit bientôt. Bessières cependant arrivait à Podolsk, puis à Dessna, d’où il repoussait les postes avancés de l’armée russe[2]. Napoléon apprend que l’ennemi est dans son voisinage immédiat et que déjà (le 23) les partisans russes de la division Dorokov ont enlevé un convoi de munitions et d’argent sur la route de Podolsk, puis forcé un autre détachement de faire sauter soixante caissons de poudre qu’on amenait à Moscou. Il s’indigne de tant d’audace. Cette espèce d’investissement, cette défensive incommode et provoquante le blesse et l’inquiète. Murat et Poniatowski, par ses ordres, se rapprochent de Krasnoï-Pakra. Beningsen propose de les attaquer. Kutusov, jaloux d’une part et de l’autre fidèle à son système de temporisation, ne s’estime point assez fort pour une telle tentative. Il lève le camp qu’il commençait à retrancher, bat en retraite vers Babenkovo, et, en s’éloignant, ôte à Napoléon la tentation de marcher sur lui, tentation bien naturelle et encore stimulée par les conseils de Davoust. De là, reculant toujours sur Gzerikovo, sur Vinkovo, — non sans combattre[3], — Kutusov trouve enfin derrière la Nara une position

  1. « … Jusqu’à Bromutsy, à vingt lieues au moins, » dit M. Thiers.
  2. « …Bessières… vint à Podolsk, puisa Dossna, où il rencontra le gros de l'arrière-garde russe commandée par Miloradovitch… » Thiers)
  3. Une note de sir Robert Wilson page 177) porte à treize cent quarante et un le nombre des prisonniers ramenés par les Cosaques pendant les quatre premiers jours qui suivirent l’établissement des Russes à Krasnoï-Pakra.