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cédant à son entourage et faisant à l’honneur militaire le sacrifice de ses convictions stratégiques, s’était décidé, le 5 août 1812, à reprendre l’offensive contre les Français établis en avant de Vitepsk, sur une longue ligne de cantonnemens. Le lendemain même, Napoléon consultait Davoust sur une nouvelle marche en avant qui, commençant le 10 et le 11, lançait secrètement sur la gauche de l’ennemi une masse de cent soixante-quinze mille combattans. On passait ainsi des bords de la Dvina sur ceux du Dniéper ; on franchissait ce fleuve, on le remontait rapidement jusqu’à Smolensk, qu’on enlevait par surprise et d’où l’on débouchait en masse à l’improviste sur la gauche des Russes, désormais tournés et coupés de leur ligne de retraite. Une bataille devenait inévitable, et Napoléon ne demandait qu’une bataille. Le 7 août cependant, c’est-à-dire avant que l’offensive eût été prise par nous, les Russes s’avancèrent contre nos cantonnemens. Le général Sébastiani, selon sa coutume, se laissa surprendre à Inkovo. Sa bravoure et l’aide de Montbrun lui permirent de ramener ses cavaliers, non sans peine, au milieu des bataillons du maréchal Ney[1]. Devant ceux-ci, l’offensive russe s’arrête, et dès le 8, Barclay de Tolly s’effraie lui-même de sa témérité. Il croit, sur quelques indices peu concluans, à un changement de front des Français, à une manœuvre pour le tourner par sa droite (justement le contraire de ce que rêvait Napoléon). Étourdi, ébloui, il suspend, heureusement pour lui, l’attaque qu’il avait commencée à regret. Un contre-ordre général pousse les colonnes russes vers la droite, c’est-à-dire du côté où il se croit menacé. Tandis qu’il tâtonne et cherche son antagoniste à l’inverse de la direction prise par celui-ci, la grande armée, dans les journées des 11, 12, 13 août, longe au contraire les bords sinueux et profonds du Dniéper. En avant de Krasnoë, le 14, l’avant-garde française rencontre et refoule dans la ville une division russe placée en observation. Isolée comme elle l’était sur la rive gauche du fleuve, cette division devait être anéantie. Un ravin, un pont rompu, en s’opposant à la marche de notre artillerie, la préservent d’une destruction complète. Elle bat fièrement en retraite sous les charges répétées des cavaliers de Murat, et, jonchant le sol de ses morts, mais nous rendant blessure pour blessure, elle remonte vers Smolensk. Ralentie par sa masse même, la grande armée, qui perdit toute une journée à fêter le 15 août, n’arrive que le 16 en vue de Smolensk. Là, le premier coup d’œil des généraux d’avant-garde (Grouchy et Ney) leur apprend

  1. Dans le récit de sir Robert Wilson, fondé sur les relations de I’état-major russe, l’attaque des cantonnemens de Sébastiani à Molevo Boletto ne fut qu’une méprise du général-hetman Platov, qui n’avait pas été prévenu à temps du changement subit survenu dans les projets de Barclay de Tolly. Il s’écarte en ce point du récit de M. Thiers.