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question qui vous intéresse. Ce sont des notions encore bien vagues, comme vous voyez ; cependant je suis convaincu que, si l’on fait des expériences directes, on arrivera à une explication scientifique des phénomènes que la pratique a révélés. Il y a certainement des différences dans la rapidité de la modification des chairs suivant la nature des animaux, leur âge, la saison, et surtout suivant le genre de mort. Pour les mammifères, j’ai constaté que la mort par asphyxie est une des morts qui font disparaître le plus vite les matières glycogènes.

« Dans les derniers faits que vous m’avez communiqués, j’ai vu que les morues qui meurent dans l’eau sont plus mauvaises que celles qui meurent dans l’air. Cela doit tenir à ce que l’asphyxie arrive autrement, ou peut-être aussi à ce qu’il y a imbibition des tissus, ce qui est une cause d’altération très rapide. »

Ce lumineux exposé de la doctrine met quiconque veut faire des expériences en état de se rendre compte des phénomènes qui se dérouleront sous ses yeux. M. Claude Bernard espère que les expérimentateurs seront nombreux, et quand j’ai appelé son attention sur les effets des divers genres de mort du poisson, il a pénétré du premier coup d’œil les conséquences éloignées d’une amélioration qui, si peu qu’elle ajoutât à la valeur de chaque unité, produirait sur l’ensemble une énorme richesse ; mais il a attaché bien plus de prix encore aux avantages physiologiques qui résultent pour l’homme lui-même d’une alimentation plus substantielle et plus salubre. Si telles doivent être les conséquences de l’introduction d’un procédé simple et facile dans la pratique de nos pêcheries, jamais amélioration ne survint plus à propos. De toutes les conquêtes que les nouveaux traités de commerce assurent en France à l’Angleterre, celle dont elle s’applaudit le plus est la réduction de 40 à 10 pour 100 des droits sur les poissons frais ou salés de l’étranger. Elle calcule avec joie que cette mesure sera la ruine de nos pêcheurs de l’Océan, et par conséquent un notable affaiblissement de la population maritime des rivages opposés aux siens. Cette joie lui est assurément permise ; mais c’est à nous de ne négliger aucun moyen de relever nos braves pêcheurs de la Manche de la rigoureuse condition qui leur est faite à partir de 1861. Un accroissement de la valeur du produit de leur pêche, acquis au prix d’un peu plus de soin dans la préparation du poisson, les aiderait certainement à se défendre de la concurrence anglaise. Cet adoucissement n’est pas le seul qui puisse leur être offert ; mais il suffit de leur patience et de leur résignation pour la propagation d’un procédé éprouvé dans leur voisinage, et l’on ne sait nulle part aussi bien que parmi eux que, pour être aidé par le ciel, il faut commencer par s’aider soi-même.

Auprès des souffrances qui attendent nos matelots, faut-il parler de