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de poissons que célébrait il y a quatorze cents ans le patrice Ausone, poète médiocre, mais dégustateur éminent.

D’habiles pêcheurs divisent, sans autre distinction, les eaux à empoissonner en rapides et dormantes, claires et troubles, froides et tempérées. L’influence de ces divers états physiques des eaux est assurément fort grande ; mais s’ils agissaient seuls, ils produiraient partout les mêmes effets : la mer serait, à ce compte, également poissonneuse sous les mêmes latitudes, et personne ne prétend qu’il en soit ainsi. Il est des circonstances chimiques dont l’action sur le poisson peut être encore très imparfaitement connue, et qu’il serait prématuré de nier pour cela. On a fait jusqu’à présent fort peu de recherches sur les attractions et les répulsions qu’exercent sur le poisson, ou, ce qui revient au même, sur les animaux aquatiques dont il fait sa pâture, la composition géologique des terrains et les sels en dissolution dans les eaux qui en découlent. Nous connaissons seulement des rivières placées dans des conditions apparentes semblables, et dont les unes sont naturellement poissonneuses, tandis que les autres ne le sont pas. Un vaste champ d’observations est ouvert à l’étude de causes et d’effets si variés ; mais les naturalistes qui sauront les éclaircir ne pourront, au début, rattacher leurs investigations qu’à un petit nombre de points culminans.

Par exemple, la richesse ichthyologique des eaux qui suintent des formations calcaires et des formations abondantes en feldspath et par conséquent en potasse est-elle constante ? Les terrains calcaires semblent donner plutôt la quantité, les terrains feldspathiques la qualité. Ainsi le Doubs coule de sa source à son embouchure dans le calcaire jurassique, et le poisson y est si multiplié que pour l’apercevoir il suffit d’un regard jeté sur les eaux. Les terrains tertiaires que traverse la partie inférieure du cours de la Moselle sont très feldspathiques, et une structure fendillée leur donne la faculté d’absorber rapidement les eaux qu’ils reçoivent du ciel : cette absorption se reconnaît à la maigreur et à la rareté des torrens dans cette âpre et montueuse région ; les eaux filtrent lentement dans les entrailles des montagnes, au lieu de se précipiter à la surface, et dans ce trajet elles s’imprègnent bien mieux des sels recelés dans le sein de la terre. Ces circonstances ne sauraient être tout à fait étrangères à la qualité du poisson de la Moselle. Une loi générale de la nature attribue à chaque espèce de sol des végétaux qui naissent et s’y développent de préférence ; ces végétaux, à leur tour, communiquent au bétail qui s’en nourrit des qualités particulières : il doit en être de même des eaux et des poissons qui les peuplent. C’est donc aux riverains des petits cours d’eau d’étudier les espèces sédentaires qui s’approprient aux circonstances locales, et si elles n’y