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exploits d’huissiers. L’affichage et la distribution de la profession de foi et de la liste des candidats indépendans étaient interdits par les commissaires de police, mais l’interdiction ne frappait en réalité que les affiches de l’opposition ; celles de la mairie, malgré un arrêté préfectoral qui prohibait toute manifestation de ce genre, furent au contraire partout placardées. À cet arrêté du sénateur-administrateur, les électeurs indépendans opposèrent un acte extra-judiciaire, et obtinrent, mais seulement à la fin de la journée, la levée de la prohibition relativement à la distribution de la profession de foi des candidats. Disposant d’un temps si court, entravés par des obstacles arbitraires que l’on ne renversait tardivement qu’à coups de papier timbré, les partisans de la liste libérale de Marseille ont pu pourtant réunir 9,000 voix ; la liste de la mairie n’a eu que 4,000 suffrages de plus ; une portion même de cette liste n’a pas obtenu le nombre de voix nécessaire à la validité de l’élection. L’opposition reproche d’ailleurs à l’élection des vices semblables à ceux qui ont motivé l’annulation des scrutins du mois d’août ; elle ne se décourage ni ne se lasse : elle a dénoncé les fraudes commises dans une protestation adressée au sénateur-administrateur et au conseil de préfecture et dans une plainte déposée au parquet du procureur impérial. C’est ainsi que les causes politiques doivent agir : il faut chercher infatigablement dans la loi la défense de ses droits. Cette persévérance dans l’action légale est un salutaire exemple donné au pays par une des plus grandes et des plus importantes villes de l’empire.

Un autre fait instructif qui ressort des élections marseillaises, c’est la combinaison d’élémens divers qu’a présentée la liste de l’administration. Nous ne parlons point ici des recrues, pour ainsi dire obligées, que le suffrage universel fournit à l’influence administrative. On trouve jusqu’à présent naturel que ceux qui vivent du patronage de l’administration, ou qui ont eu à redouter le contrôle, se croient tenus d’obéir à ses mots d’ordre, que les douaniers, les employés de l’octroi, les cabaretiers, votent comme veut M. le maire. Il y a là pourtant un fort appoint du suffrage universel, et lorsqu’on sera entré plus avant dans la sérieuse concurrence des opinions, il y aura lieu de surveiller de près ce contrôle à rebours que l’administration, qui est mandataire du suffrage universel, est portée à s’arroger sur l’initiative de l’électeur, de qui elle tient son mandat et à qui appartient véritablement au contraire le droit de la contrôler. Cette question est encore trop en avant. L’influence administrative a procuré sans doute plusieurs milliers de voix à la liste du maire de Marseille ; mais d’autres influences, dont la réunion parait singulière, ont contribué à la grossir. L’administration a eu le talent de grouper autour d’elle les voix de l’extrême démocratie et les voix cléricales, exhortées, dit-on, par les jésuites et publiquement par l’évêque. Un comité démocratique invoquant les services rendus pendant de longues années à la démocratie, les traditions de la démocratie, etc., a prêté ses acclamations à la liste administrative. Ce comité a organisé dans une